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02/05/2024 à 00h06
30 ans sur internet


On oublie vite qui on était. Mais on oublie tout aussi vite la personne qu’on avait pensé devenir un jour. Parfois, j’ai l’impression de voir ma vie défiler sous mes yeux, comme si j’en étais le spectateur. C’est pourquoi j’essaye de rattraper le temps qui passe en documentant mes expériences. Et s’il y a bien eu un tournant technologique dont j’ai été le témoin, c’est celui de l’arrivée des ordinateurs personnels, et de son corollaire plus tardif, la mise en place d’une connexion universelle entre lesdits appareils. En un mot, c’est l’internet qui a bouleversé mon existence, ainsi que celle de millions de personnes dans le monde entier. Il serait même impensable aujourd’hui de ne pas être connecté au réseau mondial en permanence. Au point qu’il existe un droit à la connexion, au même titre qu’existe un droit à l’eau potable, à un logement ou à l’électricité. On entend par là que chaque citoyen français doit pouvoir accéder à internet quelle que soit sa situation ou l’endroit où il se trouve. A moins de vouloir entreprendre une « détox digitale », de s’appeler Amélie Nothomb ou d’exercer son droit à la déconnexion (surtout pour les salariés qui ne peuvent plus se mettre à l’abri des sollicitations de leur employeur), on n’imagine plus vivre sans l’internet. Mais alors, comment est-on passé progressivement d’un monde non connecté (en fait beaucoup plus que ce qu’on imagine) à un monde hyperconnecté ? Quels ont été les bénéfices de ces avancées majeures dans la manière de communiquer ? De quoi a-t-on le droit de se méfier à propos de ces outils et des dérives qu’ils entraînent dans notre quotidien ? Et d’un point de vue personnel, qu’est-ce que cette technologie a bien pu changer en moi ? Dit-on le ou la wi-fi ? Ce sont toutes les questions que je me pose depuis plusieurs mois, et auxquelles je vous propose de répondre dans ces quelques lignes.

I. Les portes s’ouvrent (1994-1998)
: la recherche de tout…
:… et n’importe quoi ?
Acteurs incontournables : Yahoo, Netscape, ICQ
Ce que cela a changé en moi : j’étais informé avant tout le monde de certaines informations très spécifiques

Les premiers pas dans un univers inconnu nous marquent forcément un peu. Mais quand je dis univers, j’évoque un monde complètement différent de celui auquel nous sommes habitués aujourd’hui. La page d’accueil du moteur de recherche Google n’existait pas il y a trente ans. Peu ou pas de vidéos, une expérience exclusivement sur ordinateur. Les smartphones ayant été démocratisés il y a à peine quinze ans. Des écrans cathodiques pour afficher l’interface et une expérience pour le moins frustrante. Mais déjà un ensemble de règles étaient fixées : l’accès gratuit (du moment qu’on paye le fournisseur d’accès et la connexion téléphonique), les adresses URL, des pages qui contiennent des liens, des e-mails, des newsgroups, des sites FTP. Et puis aussi des libertés prises avec les droits d’auteur, car tout se partage gratuitement. C’était un peu le Far-West pour geeks qu’on imagine aujourd’hui sans nostalgie. Les rares utilisateurs qui publiaient du contenu faisaient partie d’institutions, d’entreprises et il y avait aussi quelques informaticiens amateurs. Le grand public attendait sans le savoir que l’application des protocoles se simplifie pour pouvoir entrer. Il fallait en effet passer quelques heures dans un manuel pour bien comprendre comment tout cela fonctionnait. Les ordinateurs personnels n’équipaient pas encore la plupart des foyers, et il fallait posséder un modem connecté à la prise téléphonique pour commencer à surfer sur le W.W.W. (world wide web). Or, la prise en question était bien souvent posée dans l’entrée des logements et pas dans les chambres où se trouvait l’ordinateur. Il fallait bien souvent tirer un fil et percer un trou dans un mur avant d’arriver à naviguer sur internet. Attendez, ce n’est pas fini, le modem se connectait uniquement si on avait bien réglé tous les paramètres TCP/IP (manuellement sinon ça ne serait pas drôle). Ce modem parlons-en. Il émettait un signal sonore assez caractéristique au moment de la connexion. Après avoir essuyé quelques échecs pour une raison qu’on ignorait souvent, on finissait par être relié à un réseau d’autres ordinateurs décrit à l’époque comme une « toile mondiale ». La promesse de cet internet préhistorique était : « demande, et tu seras exaucé ». C’était vrai, pour peu qu’on paye au prix fort. Il fallait pour commencer avoir installé un navigateur, pour ma part c’était Netscape.
On récupérait ces logiciels sur des disquettes (ou des CD-ROM) la plupart du temps. Une fois l’application ouverte, on devait saisir l’adresse URL du site que l’on souhaitait visiter, y compris le « http://www. ». On trouvait les adresses dans des magazines ou des livres évoquant les « pages jaunes d’internet », ce qui parait dingue aujourd’hui. Même si les moteurs de recherche existaient, ils étaient assez peu efficaces. Puis, après avoir trouvé enfin un site, on devait s’armer de patience. Je regardais parfois les images se charger ligne par ligne au rythme escargrotesque d’une image par minute. Un peu comme quand on a vu le visage de Mitterrand se dessiner sur les écrans de télévision le soir du 10 mai 1981 lors de l’élection présidentielle, à part qu’il s’agissait surtout de corps dénudés sur le site playboy.com pour ce qui me concerne. Mais au fait à quoi ressemblait le résultat à l’époque ?

Quant au reste des sites accessibles, autant vous épargner l’illusion d’un paradis perdu. C’était moche, et pas tellement interactif. La plupart des écrans restitués nous paraissent aujourd’hui totalement désuets. Des lignes de texte illisibles, des couleurs criardes, des images qui ne se chargeaient pas au moment où on le souhaitait, la mise en page évoluant au fur et à mesure de la réception des éléments. Des plug-ins qui manquaient rendaient le contenu « illisible ». Oui c’était à peu près ce à quoi on pouvait s’attendre quand on cliquait sur un lien. D’où l’hésitation qu’on pouvait avoir avant d’enfoncer son doigt sur le bouton de la souris. On jugeait à partir de quelques lignes du résultat de recherche Yahoo ou Altavista s’il se pourrait bien que nous tombions enfin sur l’information tant convoitée. La quasi-totalité était en anglais bien sûr. Gare aux accents et autres cédilles qui n’étaient pas souvent reconnus. Une chose que l’on regrette de cette ère des débuts d’internet, c’est l’absence de publicité. L’origine universitaire et militaire du réseau donnait peut-être aux créateurs de contenus des remords à ajouter un banal bandeau destiné à promouvoir des chips sur leur page. J’avais de plus en plus de compagnons de route et mon carnet d’adresses e-mails est passé de zéro à cent en quelques années.
Et Google est arrivé bien sûr…

II. L’arrivée du grand public (1999-2006)
: la création de contenu, les sites deviennent beau
: l’accès relativement cher (matériel, connexion,…), les virus, la pub !
Acteurs incontournables : Google, Internet Explorer, Emule, Napster
Ce que cela a changé en moi : je prends goût à partager mes préoccupations, je télécharge beaucoup de films et de musique

Après cette première expérience en tant que consommateur, j’ai pu me mettre à fabriquer des pages. Ma page personnelle a été mise en ligne à ce moment-là sur mon site free.fr.
J’y parlais de mes voyages, de mes obsessions pour la photographie, le japon. J’ai ensuite essayé des techniques comme le javascript. Et comme j’aimais expérimenter, je créais des pages qui s’animaient, tombaient du haut de l’écran de manière réaliste et rebondissaient comme des balles en caoutchouc. Je m’amusais dans mon coin, mais dans le même temps les sites devenaient de plus en plus interactifs, ergonomiques, remplis de contenus. C’était vraiment beaucoup plus professionnel qu’aux débuts. Les messageries et forums permettaient d’échanger des messages avec des personnes qui partageaient la même passion que nous. On entrevoyait aussi la possibilité qu’un jour ces écrans remplaceraient le papier sous toutes ses formes (journaux, lettres, affiches,…). C’était le crépuscule d’un ancien monde auquel on assistait. Pour bénéficier de ces nouveautés il fallait bien sûr être connecté et savoir où chercher. J’étais à la recherche de l’âme sœur, et c’est sur le site « Netclub » que j’ai fait mes premiers pas sur un site de rencontres amoureuses. Pour moi qui n’aurais jamais osé adresser la parole à une femme autrement, c’était un moyen de dépasser ma timidité. Je pouvais nouer des liens avec d’autres personnes que celles qui croisaient mon chemin sur mon lieu de travail.
Les photos de profil étaient tellement minuscules à l’époque qu’il était pratiquement impossible de savoir à quoi allait ressembler la personne à qui on avait donné rendez-vous. Même si je n’ai pas rencontré l’amour avec Netclub, les échanges que j’ai pu avoir à ce moment-là ont eu une grande influence sur ma maturité sentimentale. Au-delà des messageries et des divertissements, ce sont les entreprises des médias, et les grands groupes industriels ou bancaires qui ont commencé à investir dans le web. Mais cette révolution ne touchait encore ni les pays en voie de développement, ni les enfants, ni les personnes âgées (qui gloussaient en entendant le mot « ordinateur »). D’un seul coup, aussi rapidement qu’il est possible de prononcer les quatre lettres « ADSL », les personnes autrefois réticentes se sont équipées d’un PC portable, en tout cas celles qui pouvaient se les offrir. Le site Médiamétrie donne une idée de la progression observée à cette époque.

La nouvelle méthode de connexion, permettant une vitesse de téléchargement plus rapide et son aspect illimité popularisé par Free rendait tout cela attractif. Pour les plus chanceux, l’accès à des chaînes de télévision en branchant une box à son téléviseur est devenu possible. Et ce n’est pas tout, on pouvait désormais passer des coups de fils (la plupart des téléphones fixes avaient des fils) sans penser au coût que cela pourrait engendrer. Ces numéros de téléphone fournis avec l’abonnement et qui commencent par « 09 » permettaient désormais d’appeler de manière illimitée un autre poste fixe (pas les téléphones portables).
C’était évidemment révolutionnaire. Presque de manière parallèle, les sites de vente en ligne se sont développés, même si le commerce en ligne n’en était qu’à ses balbutiements. Il s’agissait surtout d’attirer le client en boutique IRL (in real life). On était encore assez réticent à donner son numéro de carte bleue ! La pub arrivait partout, et Google prenait la place de leader de cet univers. Cette manne financière a entraîné la création de sites qui ont pris la place d’une concurrence vieillissante, notamment dans les médias. C’était aussi le début du piratage de masse du contenu musical et cinématographique. En France, l’arrivée de Free a ouvert la voie vers l’abonnement illimité, ce qui n’était pas forcément la norme dans le reste du monde. Le wifi s’est généralisé dans les foyers, rendant possible le « surf » sur internet depuis son canapé. Cette foule de nouveaux utilisateurs a attiré des parasites prêts à fondre sur ces béotiens. Les arnaques se sont développées à grande échelle, ainsi que les virus. Ceux-ci touchaient principalement les PC, les ordinateurs Apple étaient plutôt épargnés car ils ne représentaient qu’un faible pourcentage du marché. De mon côté, j’étais un utilisateur assidu d’eBay, afin d’acheter et revendre aux enchères des objets afin d’économiser quelques sous.
Et je téléchargeais beaucoup de musique et de films hollywoodiens sur le logiciel "emule".
Les utilisateurs étaient de plus en plus nombreux, et exigeants. Mais tout n’était pas aussi fluide et ergonomique que cela. Et il restait quand même une marche à grimper, celle du partage de contenu.

III. L’âge de raison (2007-2011)
: la vidéo arrive enfin, les Smartphones, la simplification administrative
: les trolls, les réseaux sociaux contrôlent nos vies
Acteurs incontournables : Firefox, Facebook, Twitter, Youtube, Wikipedia
Ce que cela a changé en moi : je développe une vision biaisée du monde

Comment envoyer les photos du petit dernier à toute la famille alors qu’il fallait un quart d’heure pour charger les fichiers? En effet, l’envoi de données était très lent même si dans le meilleur cas le téléchargement allait assez vite (parfois aux alentours de 512 Kb/s). Facile ! Il suffit d’augmenter progressivement la capacité d’envoi de données, ce qui sera le cas au cours des années 2000. Mais surtout, puisque les êtres humains s’intéressent surtout à eux-mêmes, en tout cas la plupart d’entre eux, où se trouvait donc l’individu dans cette soupe technologique de plus en plus lucrative ?
Facebook a répondu à cette question de la façon la plus logique, en mettant en place une plate-forme de partage, au départ assez rudimentaire, mais qui avait l’intérêt de laisser une libre place à l’égo. Ce petit frisson ressenti par chaque membre qui recevait un « like » a lancé les réseaux sociaux sur les chapeaux de roues. Et cet espace ne contenait plus simplement le récit passionnant des vacances de ses cousins, mais également des photos et des vidéos de celles-ci. De quoi alimenter la compassion, les liens familiaux…hmm et aussi les jalousies et les convoitises. Micro-blogging, échanges de conseils ou confessions étaient au menu. Et Facebook n’était plus seul sur le marché. Ces réseaux se sont développés comme des champignons sur du pain de mie. Avec la vidéo, ce qui n’était au départ que quelques secondes d’images animées allait devenir une lucarne sur la vie de millions de gens.
Youtube nous offrait tout à coup le quart d’heure de célébrité dont parlait Warhol. Les plus doués se sont engouffrés dans la brèche pour influencer une audience de plus en plus atomisée. Car le point de vue et les opinions diverses se sont exprimées pour le plus grand bonheur des personnes qui ne se sentaient jamais représentées.
J’ai commencé à raconter ma vie sur un blog en juin 2011, surtout des images de mon quotidien et mes réflexions sur le monde qui m’entourait. L’inconvénient de ce mode d’expression est bien sûr la concurrence entre les sources d’information et l’anonymat* relatif des personnes qui s’expriment. Les journalistes ont quant à eux le rôle d’informer le public, d’enquêter, de vérifier l’information avant de la publier. Ils suivent donc des règles que le citoyen lambda n’a pas besoin de respecter. L’ouverture d’un nouveau mode d’expression, de diffusion de contenu visible par tout le monde, permet à tout un chacun d’affirmer ce qui n’est prouvé par rien. Cette tendance se vérifie sur l’encyclopédie participative Wikipédia, mais elle est contrebalancée par la veille régulière d’une communauté de contributeurs et leur souci d’exactitude qui permet des corrections rapides et précises la plupart du temps. Ce n’est pas le cas dans la plupart des sites qui permettent un mode d’expression plus libre ne nécessitant pas de justification des propos tenus. Et justement, puisque la preuve n’existe pas toujours, on peut y dire ce qu’on veut. Et pour couronner le tout, si je ne trouve pas la preuve de ce que j’affirme, c’est que la vérité est cachée. CQFD. Certaines personnes ont pu également fabriquer des preuves de ce qu’ils avancent afin de combler un vide. Il n’y avait rien de mieux à faire puisqu’il était impossible de les trouver ! Il suffit donc de quelques minutes pour trouver des sites internet qui évoquent une thèse controversée (les chats sont des espions extraterrestres, la Lune est creuse, les ondes 5G provoquent le cancer,…). Je peux donc étayer des soupçons concernant une vérité alternative grâce à des informations trouvées sur internet, alors que les médias traditionnels ne semblent pas s’intéresser à mes obsessions. Et l’argument imparable en faveur de sa totale impartialité est que chaque auteur d’article a le statut d’amateur. Il est totalement bénévole, et il semble fournir des efforts considérables pour obtenir ces résultats. A l’inverse, le journaliste est payé par une entreprise qui peut voir d’un mauvais œil le fait de dire une vérité qui dérange.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé à nourrir des griefs contre Nicolas Sarkozy. J’imaginais des barbouzes, chargées de faire taire la vérité. Je voyais de la corruption, du chantage, et une manipulation des foules, ce dont le journal télévisé se gardait bien de nous informer. Comment ce chef d’état arrivait-il à garder secret des crimes aussi abominables² ? D’ailleurs je n’étais pas le seul à y croire, car il se trouvait presque toujours un individu qui s’exprimait sur un obscur blog pour dire la même chose que moi. J’ai fini par me libérer de cette paranoïa en me posant les bonnes questions, afin de trouver les raisons pour lesquelles j’étais à ce point à la recherche d’un bouc-émissaire. En effet, j’étais mal dans ma peau, à cause d’une situation familiale compliquée et à des soucis à mon travail.

* : L’anonymat a existé dès l’invention des premiers moyens de communication. On ne souhaite, ou on ne peut pas toujours s’exprimer en son nom, surtout quand on prend des risques à le faire. En temps de guerre, on crypte ses messages pour éviter qu’ils soient lus s’ils sont interceptés par ses ennemis. Mais quelle est la valeur d’un message si vous ne savez pas qui l’a écrit ? Quand on porte un masque, on se protège des attaques ad hominem, des risques pour ses proches et ses amis. Mais on prend également le risque de tomber dans le piège de l’inconséquence. Si rien de ce qu’on dit ne peut nous porter préjudice, alors on finit par croire qu’on peut dire tout et n’importe quoi en signant d’un pseudo. Les propos diffamants, les pensées les plus stupides, les rumeurs les moins fondées ont commencé à circuler. Les conséquences dans la vraie vie ont été démultipliées. Même si elles existaient déjà, les dénonciations calomnieuses, le harcèlement, les violences verbales et l’escalade des échanges conflictuels ont pris une autre dimension. Ces phénomènes ont des issues dramatiques parfois : blessures, meurtres, suicides. C’est le prix de la liberté d’expression même s’il est parfois lourd à porter. Pour illustrer cette tendance, selon un rapport de l’institut Montaigne en 2020, 56% des français de 11 à 20 ans déclarent avoir été victimes de cyber violence au moins une fois au cours de leur vie. Et les victimes sont bien souvent des femmes et ces violences s’expriment particulièrement au sein des couples.

² : Il est devenu quasiment impossible de ne pas savoir ce qu’il se passe, partout, tout le temps, notamment grâce aux mouchards électroniques que sont devenus les téléphones. Dans ce contexte, sait-on encore laisser la place aux secrets ? On vit dans une ère de communication tous azimuts qui donne le sentiment d’être autorisé à donner son avis en permanence. La stricte intimité n’existe plus vraiment puisque l’absence d’information est synonyme de page blanche sur laquelle tout un chacun peut poser sa marque. Le temps des sympathiques paparazzis qui tournaient autour d’une star de cinéma est bien loin. Aujourd’hui, une cohorte de voyeurs assoiffés de rumeurs peut se jeter de manière synchronisée sur la victime d’un « bad buzz ». Peut-on supporter encore de ne pas tout savoir sans soupçonner un complot ? La vie privée existe encore mais elle s’effiloche à mesure que la notoriété augmente. Un professeur d’histoire-géographie, la responsable d’un call-center, une médecin-généraliste, tout un chacun peut se voir visé par les ennemis du secret. Et si vous n’avez pas les compétences pour réagir avec décence et mesure, s’ajoute à l’attaque une condamnation unanime de la façon d’y répondre avec vulgarité, violence et/ou légèreté.

IV. L’adolescence (2012-2019)
: la maturité d’un nouveau média
: une obligation d’être sur internet pour exister
Acteurs incontournables : Instagram, Bitcoin, Tik Tok, Netflix
Ce que cela a changé en moi : je crée un site de pari sportif, je finis par accepter d’être médiocre

Le financement par la publicité, qui avait fait naître tellement de plateformes et de sites web florissants, ne faisait plus autant recette. Des bloqueurs de pubs permettaient aux utilisateurs d’échapper facilement à la vision de ces bandeaux envahissants. Et le grand-public n’était plus attiré par ce type l’expérience du « surf », assis sur une chaise de bureau et devant un ordinateur de couleur beige.
Il était devenu beaucoup plus simple de se promener sur la toile avec comme seule interface un écran tactile. Avec l’arrivée du smartphone, et des tablettes peu après, il n’était plus nécessaire de mettre en route une machine volumineuse pour accéder aux informations dont on avait un besoin immédiat. Les réponses obtenues avec Google étaient tellement pertinente qu’il ne servait plus à rien de se souvenir de détails insignifiant. Une recherche et je retrouve quelques secondes plus tard ce que j’avais oublié (la recette du gratin dauphinois par exemple). A force de moins se servir de sa mémoire, on finit par la perdre un peu. Et pour ce qui concerne mes souvenirs ? L’accumulation de photos, vidéos, messages, rendez-vous, etc… a entraîné la création d’une masse de données personnelles. On peut estimer la multiplication par mille de l’espace nécessaire pour tout stocker en l'espace de dix ans. Tout est mémorisé et stocké pour éventuellement servir plus tard. On peut retrouver en un clic une information (date, nom, lieu, personnes présentes,…). Et ces données ne sont pas présentes que sur un disque dur, mais désormais elles sont aussi dans le « cloud ». Et l’arrivée de la connexion par fibre optique a bien sûr amélioré grandement la rapidité des échanges de données, afin de supporter le poids des photos de plus en plus précises et des vidéos en haute définition. Plus aucun détail n’échappe aux objectifs. Et internet n’oublie rien, mais il serait parfois utile d’oublier, surtout nos pires humiliations, les drames et les évènements douloureux qui jalonnent nos vies.
J’étais sceptique quant à la capacité de ces technologies à être autre chose que des outils permettant d’amplifier une tendance qui existait déjà, ou de dévoiler un talent qui se serait exprimé même sans elle. Mais de nombreuses personnes se sont ralliées à la « pensée computationnelle » à cette époque. Cette croyance en une logique mathématique qui permettrait de résumer la complexité d’un monde non binaire s’est ancrée dans nos pensées. L’ordinateur pourrait remplacer l’être humain dans la plupart des domaines de la connaissance et de la pensée ?
Un peu à contretemps, je me suis intéressé à la création de sites d’e-commerce. Je m’initiais à la programmation, et au professionnalisme dans la création de contenu, sans l’atteindre.
J’ai ouvert un site de paris sportifs gratuit en 2010, mais je n’y ai rien gagné sinon une distraction dans ma vie un peu ennuyeuse.

La tendance des mensonges à se multiplier sur certains sites, présente depuis plusieurs années car inscrite dans les gênes de ce nouveau média a eu tendance à s’industrialiser. Une armée de trolls* s’est consciencieusement appliquée à développer des thèses toutes plus délirantes les unes que les autres. Parfois, ce travail a été financé par des états peu scrupuleux afin de servir leurs intérêts. La loi dite de Brandolini² s’est donc trouvé vérifié plusieurs milliers de fois par heure. A quoi servent ces articles qu’on peut qualifier rapidement de « complotistes » ? D’abord à obtenir de l’attention, ensuite à avoir de l’influence, à créer le doute dans l’esprit du lecteur, à discréditer un ennemi. La série « Mr Robot » fournit une vision assez cauchemardesque de ce dont est capable une armée de hackers dirigés vers un objectif commun. L’application systématique de recettes éprouvées peut servir une propagande, la spéculation (en hausse depuis l’arrivée de cryptomonnaies), des intérêts militaires ou économiques. Un évènement sanitaire mondial est venu mettre un peu de désordre supplémentaire dans cette équation déjà complexe.

* : les trolls sont des internautes qui ont un comportement dénigrant, agressif, insultant ou les trois à la fois.

² : Brandolini énonce que "La quantité d'énergie nécessaire pour réfuter du baratin est beaucoup plus importante que celle qui a permis de le créer". Vérifier des thèses absurdes peut donc demander tellement de temps et de travail qu’il vaut mieux parfois ne pas répondre à un argument complètement farfelu sous peine d’être enseveli sous ceux-ci.

V. La maturité (2020-2024)
: le télétravail, les données qui nous simplifient la vie, l’immersion (RV, RA)
: l’addiction aux notifications, la perte de concentration, le coût énergétique
Acteurs incontournables : TousAntiCovid, OpenAI
Ce que cela a changé en moi : je mélange de plus en plus mon travail et mes loisirs

Les conditions sanitaires liées à la crise Covid ont favorisé une utilisation professionnelle des réseaux.
Je travaille de chez moi, comme beaucoup de gens, et je finis par confondre le temps de travail et celui où je me consacre à des projets personnels.
Grâce à la technologie sensée être de mieux en mieux maîtrisée par un nombre de plus en plus important de professionnels du numérique (développeurs, graphistes, community manager,…) l’internet était entre de bonnes mains. L’utilisation des réseaux informatiques pouvaient maintenant servir à éviter le déplacement inutile de la plupart des employés, couteux en CO2. Le stockage de papiers devenait inutile, tout étant numérisé, on allait éviter une déforestation catastrophique ! Las, il faut bien se rendre à l’évidence, le fonctionnement des serveurs, routeurs, antennes et terminaux en tout genre engloutit une énergie folle. Environ 10% de l’électricité produite chaque année dans le monde sert à les alimenter. La surconsommation énergétique absurde que le stockage de contenu obsolète disponible 24h/24, la blockchain, et l’augmentation exponentielle de la publication de données redondantes ne semblait pas trouver de limite.
La simplification administrative est une des promesses de l’internet moderne. L’expérience du Minitel en France n’avait pourtant pas tellement changé les habitudes. Cet appareil servait surtout à chercher une adresse sur les pages jaunes. Il n’avait pas rendu obsolète les échanges de courriers, formulaires à remplir, ni à la Poste, ni à la Mairie, ni aux impôts, ni à sa caisse d’assurance maladie. Il faut bien le reconnaitre, dans les multiples instances bureaucratiques, l’internet a tout changé. J’en veux pour preuve la télédéclaration mise en place au début des années 2000. Cet évènement, sans doute plus qu’aucun autre, a permis de se rendre compte à quel point le vent avait tourné. On pouvait déclarer ses revenus aux impôts sur un ordinateur relié à internet. Ce n’était pas plus simple que d’écrire ses revenus sur un papier imprimé avec des cases aux noms barbares, mais ça changeait tout. D’abord parce qu’on obtenait immédiatement le résultat de la ponction qu’effectuerait l’Etat. Ensuite car il n’était plus nécessaire de sortir ou de coller un timbre sur une enveloppe. On pouvait, sans se salir les mains, signaler à l’administration un mariage, un changement d’adresse, une augmentation de ses revenus. Dans les faits, il fallait comprendre comment installer un certificat de sécurité, noter tous les identifiants et choisir un mot de passe compliqué. On a déjà vu plus simple ! Restait à conserver l’intervention humaine, pour accompagner les moins habiles et pour aider à résoudre les problèmes liés à des situations particulières.
L’arrivée du système d’authentification unique « FranceConnect » a bien eu l’effet escompté, et à partir de 2018 il facilitera beaucoup les démarches administratives. Mais il faut bien avouer que malgré les promesses, la bureaucratie kafkaïenne française n’a toujours pas réussi à redorer son image. Les files d’attente devant les agences « France Services » nous prouvent qu’il y a encore du chemin à parcourir, s’il était besoin de le faire.
A la croisée des chemins de ces travers inhérents à l’internet moderne est née l’illusion qu’une intelligence artificielle pourrait remplacer l’intelligence humaine. Dans les faits, cette technologie a d’abord pris la forme d’algorithmes censés nous inciter à consommer un maximum de publicités en nous agitant sous le nez des récompenses virtuelles.
Et puis les assistants vocaux, constamment à l’écoute, ont pris place dans les salons de nombreux foyers. L’efficacité du contrôle et de la synthèse vocale a doucement progressé sans vraiment dépasser le stade de l’anecdote. « Dis Siri, rappelle-moi de sortir les poubelles demain matin », « Ok Google, quel temps fera-t-il demain ? ». On est loin d’une conversation tenue par les machines présentées fans les films « Blade Runner » ou « Her ». Dans le domaine de la génération de contenu assistée par l’IA, on a vu aussi des automates qui pouvaient copier le style pictural d’un Van Gogh ou d’un Rembrandt. A partir d’une photo, la machine vous refait le portrait. Elle peut même remplacer votre visage par celui d’une autre personne. Progressivement, l’idée qu’un automate puisse reconnaitre tout ce qui l’entoure sur une route et décider de l’action à mener en conséquence a jailli. Cette possibilité mettrait les conducteurs de taxi définitivement au chômage. Mais il reste encore de nombreux écueils à franchir avant d’en arriver là. La question est donc surtout de savoir quand ces systèmes seront mûrs pour être déployés en grand nombre. Imiter l’être humain dans ses tâches les plus répétitives et mémoriser des règles complexes semble être à la portée des machines. Désormais, elles peuvent aussi s’entraîner à s’améliorer pour trouver des solutions que l’être humain n’aurait pas forcément imaginées. Mais la machine n’est-elle pas intrinsèquement limitée par les compétences de ses concepteurs ?
Le découvertes récentes popularisées par la société OpenAI via son automate de génération « ChatGPT » posent questions sur cette dernière affirmation. On peut tout simplement se demander à quel moment chacun d’entre nous se verra remplacé par une intelligence artificielle. Le travail ne va-t-il pas devenir une occupation de privilégiés ?

VI. Le futur (2025- ?)
: l’IA
: l’IA
Ce que cela va changer en moi : aurais-je encore un travail ?
Acteurs incontournables : ?

Demandons à ChatGPT ce que sera l’utilisation d’internet dans le futur :
L'utilisation d'Internet dans le futur continuera probablement à évoluer et à se diversifier, mais voici quelques tendances possibles :
1. Internet des objets (IdO) : De plus en plus d'appareils seront connectés à Internet, permettant une automatisation et une gestion à distance des appareils domestiques, des équipements industriels, des véhicules, etc.
2. Réalité augmentée et réalité virtuelle : Ces technologies devraient se développer, offrant des expériences en ligne plus immersives dans des domaines tels que les jeux, l'apprentissage, le shopping, la collaboration professionnelle, etc.
3. Intelligence artificielle et apprentissage automatique : L'intégration de l'IA dans les services en ligne deviendra plus répandue, permettant des recommandations plus précises, une personnalisation accrue des expériences utilisateur et des interactions plus naturelles avec les systèmes en ligne.
4. Santé en ligne : Les services de santé en ligne continueront de croître, offrant des consultations virtuelles, des applications de suivi de la santé, des analyses de données pour la recherche médicale, etc.
5. Commerce électronique : Le commerce en ligne continuera de croître, avec une expansion des achats en ligne de produits physiques, mais aussi une augmentation des services en ligne, tels que les abonnements à des contenus numériques, les cours en ligne, etc.
6. Blockchain et cryptomonnaies : Ces technologies continueront de transformer les transactions en ligne, offrant une sécurité accrue, des paiements transfrontaliers plus rapides et une plus grande décentralisation des services financiers.
7. Sécurité en ligne : Avec la croissance des cybermenaces, la sécurité en ligne deviendra de plus en plus importante, avec des développements dans les technologies de détection et de prévention des intrusions, ainsi que dans les pratiques de protection des données personnelles.
Cependant, il est important de noter que ces prédictions sont basées sur les tendances actuelles et que l'évolution de l'utilisation d'Internet dépendra également de nombreux autres facteurs, tels que les avancées technologiques, les réglementations gouvernementales, les préoccupations en matière de confidentialité et de sécurité, ainsi que les comportements et préférences des utilisateurs.

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Article N°94
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Florent Thomas-Penette | Contactez-moi