06/09/2015 à 15h52
Ces mots qui excluent



« Le problème, ce n'est pas seulement qu'il est impoli de prononcer le mot « nègre » en public. Ce n'est pas à cela qu'on mesure si le racisme existe toujours ou pas. Ce n'est pas seulement une question de discrimination qui se voit » 23/06/2015. En brisant le tabou du mot qu'on ne prononce pas publiquement aux Etats-Unis, Barack Obama a voulu marquer les esprits et faire sortir son pays de l'hypocrisie. D'un certain point de vue, on pratique en France la même hypocrisie. Du moins on constate une discrimination à l'embauche et la police y pratique souvent un contrôle d'identité basé sur le faciès. Alain Vidalies, le secrétaire d’Etat aux Transports, après l’attaque du Thalys le 21 août, n’a-t-il pas annoncé : «A chaque fois qu’on parle de fouille aléatoire, quelqu’un dit "oui, mais ça risque d’être discriminatoire". Eh bien, écoutez, moi, je préfère qu’on discrimine, effectivement, pour être efficace plutôt que de rester spectateur.» ?
Malgré leurs bonnes intentions égalitaires, les individus pratiquent à bien des égards une forme de regroupement social, ethnique et culturel qui ne dirait pas son nom. Comment expliquer autrement l'absence de mixité sociale dans certains quartiers? Quel que soit l'endroit où l'on se trouve sur Terre, des catégories d'individus créent des distinctions. Même au sein de certaines familles, des « clans » se forment, c'est dire ! Cela ne vient-il pas contredire le fait que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »? Le manque de sincérité en public s'accompagne chez certaines personnes de propos raciste en privé. Et si tout n'était à l'origine qu'un problème d'empathie, mais surtout de compréhension ? Comment communiquer, s'exprimer, sans trahir sa pensée ? La façon dont on utilise les mots influence le sens qu'on va leur donner.




Les gens définissent les « autres » par tellement d’adjectifs. Ils sont pour eux des « Etrangers », pour ne pas dire des gens « étranges ». Qualifier ces « autres » par des sobriquets devient une habitude, ou un jeu. Bien heureusement, ces mots ne sont pas toujours associés à des insultes.


-« Hep, vous là-bas ! », -« Vous au fond, avec le long nez* ! ». C’est bien à vous qu’on s’adresse, mais ce n’est pas très agréable. Etre stigmatisé sur la base de l’image que nous renvoyons, voilà le sentiment que nous donnent ceux qui nous désignent sans nous connaître. Ces « mots qui excluent » ne sont jamais utilisés sans arrière-pensée. Voyons ici comment certains mots jouent un rôle de séparation entre les êtres, créant des barrières entre les personnes qu'on accepte... et les autres.


* : les asiatiques appelaient les premiers occidentaux hollandais et anglais qu'ils ont rencontrés les « longs nez » au XVIIIème siècle.



Parfois, l’utilisation de ces mots est ressentie comme une insulte raciste, mais il ne s'agit pas de cela. Les injures sont très reconnaissables, or bien souvent ces mots ne sont pas utilisés de manière méchante. Il faut donc ici bien faire la distinction. La domination s'exprime d'abord par de la violence (insultus: l’assaut). D'ailleurs, les attaques sont plus souvent lancées par des individus qui font partie de la classe dominante que de la part des minorités. De plus, les personnes qui les utilisent se fient parfois à l’apparence (ou au prénom !). Cette attitude s’explique en partie par les préjugés. La discrimination devient presque inconsciente pour des personnes influençables. Les mots sont ici le reflet de la réalité quotidienne d’individus qui vivent en dehors d’une forme de mixité sociale, et sortent rarement d'un espace défini. Il s'agit bien sûr ici d'expliquer, pas d'excuser ces comportements.


« Garde-toi, tant que tu vivras, De juger des gens sur la mine. »

Le Cochet le Chat et le Souriceau (Jean de la Fontaine)
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« Le racisme, c’est pas bien »

Ophélie Winter


Mettons de côté ce langage discriminatoire et intéressons-nous à ces mots qui n’ont pas de caractère péjoratif. Opprimés, les membres d'une minorité n'ont souvent pas d'autres moyens de s'exprimer sinon en trouvant des qualificatifs pour désigner les classes dominantes. Ainsi, les blancs sont parfois désignés:


-Gringo (pour les mexicains)


-Zoreille ou Métro (pour les réunionnais et les antillais)


-Gadjo (pour les tziganes)



Certains de ces mots ont une connotation religieuse, par exemple :


-Païen ou mécréant (pour certains chrétiens)


-Goy (pour les juifs)


-Infidèle ou Kafir (pour certains musulmans)



Pour d'autres communautés ou ethnies il existe:


-Gabacho (pour un catalan)


-Gaïkokujin ou Gaïjin (pour les japonais)


-Qallunaaq (pour les Inuits)


Rappelons-nous que pour les Romains et les Grecs, ceux qui ne parlaient pas leur langue étaient tous des barbares…même si ce mot n'avait pas la même signification qu'aujourd’hui !




Pour la communauté transgenre, les autres sont désignés par le terme « cisgenres ».



Des deux côtés d'une même médaille, on peut s’attribuer des petits surnoms :


-Parisien (pour les provinciaux)/Provincial (pour les parisiens)


Traduites en insultes, cela donne Parigot/Péquenot.


-Quand ils se rencontrent dans la rue, les gens s'apostrophent aussi : Chauffard (pour les piétons)/Piéton (pour les automobilistes).
Exemple : « Espèce de piéton ! » #insultegentille



-Textile (pour les nudistes)





Et pour nos amis amateurs de fictions:


-Mortel (pour les dieux ou les vampires)


-Moldu (pour Harry Potter)


Cet homme d’origine européenne, qui ne pratique aucune religion et passe ses vacances au camping des « Flots Bleus », est-il l'héritier de ces colons qui dictaient leur conduite aux indigènes pendant le XIXème siècle et avant ? A-t-il la nostalgie de la période esclavagiste ? Sans doute pas. Lui qui se croyait normal, c'est-à-dire rien du tout, ou au pire névrosé, se trouve étonné d'être désigné par autant de mots surprenants. Et pourtant ne dit-on pas de la France que c'est le pays des étiquettes ?



Autant de mots pour désigner des gens différents de ceux qui les utilisent ! Ils permettent parfois de nommer ceux qui ne pratiquent pas la même religion, ne parlent pas la même langue qu’eux, ou ceux qui représentent un danger (ou les trois en même temps). Ils désignent aussi parfois des gens en fonction de leur identité sexuelle. Comme on peut l'imaginer, ces mots qui excluent peuvent entraîner une forme de jugement moral du style… « Oh, ces gens-là, on sait bien comment ils sont ». On frôle donc l’injure, même s’il ne s’agit pas toujours de mots utilisés dans ce sens là.
Et l'on est parfois réduit au silence par ceux que l’on nomme ainsi. Dans ce cas, c'est une forme de protection contre un oppresseur, celui qui représente l'autorité.


Un mot qui exclut: racaille


Regrouper un ensemble de gens dans une même catégorie empêche de garder de la mesure dans son jugement. Le fait de généraliser est bien pratique pour rejeter ou exclure des personnes, celles qui ne répondent pas à certains critères qui nous semblent importants. La communauté majoritaire dans un pays possède souvent des élites qui sont au pouvoir, laissant les minorités à la porte des instances représentatives. Et pourtant, en Europe occidentale, l’homme blanc veut ignorer son appartenance à la classe dominante. Certains se sentent paradoxalement incompris et exclus. Dans une certaine mesure, il en est qui se sentent menacés dans leur propre pays. Les incivilités de quelques délinquants sont la cause principale de cette peur. Est-ce juste une question d'éducation ? En classe, et chez eux, les enfants n'ont pas tous les mêmes chances d'apprendre les savoirs fondamentaux qui les aident à réfléchir. Et la situation a empiré. Suite aux attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper-Casher, la foi d'une partie des français vis-à-vis du rôle de l'école a été ébranlée. L'éducation nationale n'arriverait plus à enseigner les valeurs de la République. Faut-il aller jusqu'à dire que les manifestations du 11 janvier 2015 en France étaient la réaction d'une classe moyenne, blanche et « catho-zombie » ? Sans doute pas, à moins de vouloir résumer les choix individuels à de simples équations, n'en déplaise à Emmanuel Todd. Quand il résume la population d'origine musulmane à une moyenne de revenus ou de niveau d'éducation cela est profondément choquant, et fait le jeu des partis d'extrême-droite.



Il n'est pas non plus question de « no-go zones » dans Paris, contrairement à ce que prétendaient des journalistes américains de «Fox News ».
S'il est bien un pays qui devrait travailler à améliorer la cohésion sociale et diminuer les inégalités entre les individus, ce sont bien les Etats-Unis.


« On est nakache, nada, rien du tout, on est oualou »

Clarika


« Les français pensent que... ». Commencez une phrase par ces mots, c'est se tromper à coup sûr. Se pose ici le problème du langage. Mais on ne peut communiquer à moins de généraliser un peu : si je parle d’une fourchette, je ne décris pas les toutes petites différences qui existent entre celle-ci et toutes les autres. Il faut cependant savoir s’arrêter de tout englober à un moment donné. D’autant que nous ne sommes pas des objets ! Considérant que 51% des êtres humains sont de sexe masculin, il faudrait dans ce cas dire : « Nous sommes 7,4 Milliards d’habitants masculins sur cette Terre » ?


Mettons-nous d’accord au moins sur le fait que chaque être humain est unique. Le problème vient du fait que nous avons tendance à globaliser à partir de l’expérience que nous avons du Monde: par reconnaissance de formes. Si deux personnes qui viennent d’un même pays ont de grands sourcils, on va dire de ceux qui en viennent en ont aussi… et on aura bien tort. C'est ce côté systématique qui nous induit en erreur, et ne rend pas hommage à notre intelligence. Un des remèdes à cette attitude est la découverte des pays étrangers. Le voyage, permet de se rendre compte de la réalité du Monde.




« Le touriste ne sait pas où il est allé, le voyageur ne sait pas où il va »

Paul Théroux


L'étranger n'est pas toujours celui qui ne nous ressemble pas. C'est aussi celui qui ressemble à tous le monde. Le touriste : cet individu qui suit des yeux le parapluie brandi par son guide une fois sorti du bus. Il y a en France une forme de méfiance vis-à-vis des visiteurs étrangers qui seraient des clones décérébrés branchés sur pilote automatique. Ne dit-on pas d'une personne peu sérieuse qu'il s'agit d'un « touriste » ?



La France, pays le plus visité au Monde.


Le comportement des français à l'étranger est en général assez décrié, au mieux sont-ils désignés comme des râleurs ou des radins. Par effet miroir, le touriste français rentré chez lui regarde le touriste étranger d’un mauvais œil. Peut-être s'imagine-t-il que l'on se comportera chez lui comme il s’est comporté chez les autres. D'où ces préjugés, cette méfiance déplacée envers ces visiteurs.




Si la complexité du Monde nous perturbe, un réflexe nous pousse à chercher des évidences pour se rassurer. On fait siennes les théories que légitiment les personnes qui nous entourent directement. Peut-être s'agit-il de conformisme. De la même façon, on se rassure en se différenciant des autres, ces « étrangers ». C'est qu'il existe aussi un danger: celui de nous confondre avec eux, quel malheur! Sans ce risque, il ne serait pas nécessaire de mettre un adjectif pour les différencier de nous. Derrière ces mots qui stigmatisent l’étranger, on entend « Je suis des vôtres », puisque j'appelle les autres comme vous.


Communautarisme ? Derrière ce mot à consonance péjorative se cachent des pratiques choisies et d’autres qui sont contraintes par les circonstances. On ne peut nier l’existence de communautés, mais on ne peut pas non plus souhaiter que chacune d’elles s’ignorent. Imaginez l'appauvrissement d'une société qui ne partagerait pas ses richesses culturelles... Les réseaux sociaux favorisent une émulation, une créativité qu'il faut saluer. Dans le même temps, cela crée une forme de repli sur soi. Nous allons vers ceux qui nous ressemblent au dépend de ceux qui vivent à côté de nous. De quelle « tribu » faites-vous partie ? « Punk », « Fashion-victim », « Geek », « Hipster », « Indigné ». Autant de qualificatifs fondés sur les comportements et pas sur l'origine, l’âge ou le sexe. Une sorte de victoire de l'acquis sur l'inné...à moins que nous soyons tous le résultat de nos parcours prédestinés. Les voyages se sont démocratisés, et l’ « étranger » d’hier qui venait du département voisin n’est plus celui d’aujourd’hui: il peut venir de l’autre côté de la planète. Les mots n’ont pas toujours évolué aussi vite que les moyens de transport. Sur cette Terre dont on connait la moindre parcelle, où quelques heures séparent Taïwan de Tombouctou, sommes-nous encore des étrangers ?


L'immigré est devenu un émigré en migrant


Alors que la guerre jette des centaines de milliers de gens sur les routes de l’exode, il est temps de se demander ce que ces « étrangers venus d’ailleurs » ont à nous apprendre.


A tous ceux qui disent « On est plus chez nous », j'aimerais leur répondre « C'est vrai, car vous n'avez jamais été chez vous ». Dans le pré carré que vous parcourez chaque semaine, votre quartier, votre village, il se peut que l'environnement ait changé depuis vingt ans. Vous ne vous sentez plus chez vous à cause de la disparition de la boulangerie ? Vous déplorez la gentrification d'un centre-ville, mais en même temps vous la provoquez par vos choix plus ou moins inconscients. Combien de fois par semaine faites-vous vos courses ? Dans quel quartier se situe votre logement ? Et le lycée dans lequel vous voulez que votre enfant fasse ses études, quel est son environnement ?


Le métissage est l'une des valeurs qui comptent beaucoup pour favoriser l'acceptation et l'intégration. Imaginez ce repas de famille réunissant les parents d’un couple mixte, ainsi que leurs enfants. Des grands-parents réunis autour d'une table, et qui n’ont aucun point commun, sinon leurs petits-enfants. N’est-ce pas là le début d’un dialogue ? Sans doute le mélange et la bienveillance sont deux choses qui nous sauveront de notre obsolescence programmée. La France ne se construit plus en bâtissant des murailles infranchissables, lignes Maginot inutiles, belles forteresses et citadelles Vauban qui n'arrêtent plus que les amateurs de vieilles pierres. Se souvenir d’où l’on vient, c’est important, mais il suffit de revenir quelques millénaires en arrière pour découvrir d’où nous venons tous. Ces centaines de milliers de « migrants » qui passent par la Méditerranée et la Turquie nous le rappellent un peu plus chaque jour…




Alors que cet afflux ne représente que quelques 0,1% de la population de l'Union, les réponses apportées par les hommes politiques deviennent de plus en plus absurdes. Et l'Europe ne prévoit pas d'accueillir ces réfugiés. Les seuls moyens débloqués financent une plus grande répression, des contrôles aux frontières et des caméras de surveillance. A moins de mettre en place une politique courageuse et solidaire, on ne voit pas comment la situation de ces hommes et de ces femmes pourrait s'arranger. Rappelons-nous ce que vivaient ces migrants pendant la grande dépression américaine en 1929, telle que la décrivait John Steinbeck dans « Les raisins de la colère »:


Il était tard quand Tom Joad s'engagea dans un chemin de traverse à la recherche du camp de Weedpatch (…) -Y a un campement de libre. Combien vous êtes ? Tom compta sur ses doigts. -Il y a moi, Pa et Man, Al et Rosasharn, l'oncle John, et puis Ruthie et Winfield. Les deux derniers, c'est des gosses. -Eh bien ! J' crois qu'on va pouvoir vous loger. Vous avez du matériel de campement ? -Une grande bâche et des lits. Le veilleur de nuit grimpa sur le marchepied. -Suivez cette allée jusqu'au bout et tournez à droite. Vous serez au pavillon sanitaire numéro quatre. -Qu'est-ce que c'est que ça ? -Cabinets, douches, lavabos. Man demanda: -Y a des lavabos... avec l'eau courante ? -Je comprends -Oh ! Dieu soit loué, fit Man.(...) -Le Comité ne va pas tarder à s'amener. Il vous mettra au courant, dit-il avec fierté. Nous prenons soin des nouveaux arrivés. Et maintenant, si vous cherchez les toilettes des dames, c'est de l'autre côté du bâtiment. Là-bas vous êtes chez vous.


Et pourtant, des initiatives qui impliquent les populations locales à l'accueil des migrants existent. Cessons de voir l'arrivée massive de ces gens comme une invasion. Luttons contre la désinformation organisée par des partis politiques qui cherchent à jouer sur la peur de l'étranger. N'oublions pas que la moyenne d'âge en France est de 40 ans, et que dans ces conditions les réfugiés représentent une ressource et pas seulement une dépense. Est-ce si difficile d'accueillir décemment toutes ces personnes, une fois qu'on cesse de croire qu'ils abusent de notre gentillesse ? Laissera-t-on s'aggraver le décompte macabre des personnes noyées ou mortes de soif à quelques kilomètres des côtes italiennes et grecques ? Daesh est une impasse dont des centaines de milliers de gens veulent sortir, alors que son essor a été favorisé par le jusqu’au boutisme d'un dictateur moustachu. A l'heure où une simple photo fait changer d'avis des millions d'européens, et que l'Allemagne se mobilise contre les réflexes identitaires de quelques nazillons incendiaires, il est temps que nous arrivions à mettre un point final à la tragédie qui se joue à nos portes.


Article du 6 septembre 2015


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