19/10/2012 à 19h09
Termes journalistiques (suite bis)

Toujours sur son métier remettre son ouvrage... J'ai "joué les abonnés absents" mais voici enfin la suite de mon article.
Je me "pique de" savoir détecter les termes inutiles dans un texte. Voici donc la suite (bis) de mon article sur les termes journalistiques que les gens n'utilisent pas. J'espère que ce n'est pas mon "baroud d'honneur".









Termes journalistiques


dont les gens ne se servent pas


(suite bis)


Article du 19 octobre 2012



Comment se faire comprendre quand tous les mots ont déjà été utilisés avec leur sens originel et à contre-sens?


Piochez dans votre vocabulaire les expressions les moins courantes, celles que vous avez entendues quelque part, mais où? Il y a fort à parier que c'était au journal télévisé, dans un hebdomadaire ou sur le site internet de votre quotidien préféré... Vous n'êtes pas sûr de vous faire mieux comprendre en utilisant ces termes, mais vous serez persuadé que vous avez fait votre petit effet de surprise. Voici la suite des deux premiers articles sur le thème des mots que les journalistes nous imposent, parfois à notre corps défendant.


















Se fendre de



Faire quelque chose par simple formalité, sans le vouloir vraiment.


Exemple: « Jean-François Copé se fend d'un communiqué... ».


Fend. Avec ces 4 lettres qui veulent tout et rien dire, on économise beaucoup de lettres, mais à quel prix ? Quand quelqu'un est obligé de se fendre, il ne se fend pas la poire. Il s'oblige à réagir alors qu'il ne le souhaite pas. Se fendre est rarement indolore, pour l'amour propre en tout cas, se piquer non plus...



Se piquer de



Se vanter de quelque chose.


Exemple: « Je me pique de savoir parler le latin ».


Pique et pique... j'ai trouvé un mot au hasard dans le dictionnaire ! Les journalistes n'ont pas toujours le choix, autant utiliser un mot qui « fait bien » dans le paysage, pour se piquer au jeu du synonyme. Si tu te piques « pour » et pas « de », c'est que tu ne supportes pas cette chose. Evitez donc de vous tromper d'adverbe.


Baroud (d'honneur)



Terme militaire d’origine arabe, le baroud désigne la poudre à canon. Les cavaliers de l’armée française tiraient en direction des ennemis (des guerriers algériens ou marocains) avec des fusils contenant cette poudre noire. Il faut dire que ça fait un sacré barouf (du mot d’origine italienne baruffa) quand une armée entière tire au fusil sur ses opposants. Synonyme de bataille, le terme « baroud » n’est plus utilisé dans les manuels de l’armée ! Le baroud d’honneur sert désormais à désigner un combat perdu d’avance, que l’on mène pour sauver la face. On ne mène plus de chevauchée désespérée au péril de sa vie dans les guerres économiques que nous menons aujourd’hui… Dès lors, nos actions deviennent moins périlleuses pour « barouder », ce qui n’empêche pas les journaux d’en parler. Nul besoin d’être un baroudeur pour réussir son coup.


Exemples : Les employés d’une société qui ferme ses portes font un baroud (souvent une manifestation). Parfois, c’est la saison qui fait son baroud, quand il neige un 20 mars, et que l’hiver ne veut pas partir. Ou bien, tel homme/femme politique profite de son éviction pour faire des déclarations tapageuses et régler ses comptes. Certains vont même jusqu’à faire un « bras d’honneur » à cette occasion. On dit alors qu’il/elle a fait son « suicide politique ». Remarquez qu’ils sont nombreux à avoir ressuscité…







Imbu de sa personne



Exemple: "Zlatan, plutôt imbu de sa personne"


Le terme « imbu » signifie qu’on est imprégné (imbibé). Le sang qui coule dans nos veines nous appartient, comment ne peut-on pas être plein de soi-même ? C’est un pléonasme…ou pas. Car ce terme est à prendre au sens figuré. L’égo surdimensionné de certains de nos contemporains peut les faire passer pour des tyrans auprès de leur entourage. Si nos idées et nos choix importent plus que ceux des autres, on risque de les saouler. Boire ses propres paroles jusqu’à s’enivrer, on ne souhaite ça à personne, surtout si ce sont les autres qui trinquent. Notons quand même qu’une personne a réussi à convaincre des millions de fidèles de boire du vin en leur faisant croire que c’était son sang. C'était il y a 2000 ans…Il était sacrément imbu de sa personne ce Jésus.


Etre/Jouer les abonnés absents



Exemple: Les Etats-Unis aux abonnés absents de la relance


Comme il y a des abonnements pour un peu tout aujourd’hui (télévision, journaux, téléphone, services divers,…) on doit préciser de quand date cette expression. Elle est née à une époque où le téléphone n’était pas très répandu. Pour être aux abonnés absents, on avait juste à appeler le standard téléphonique. Il s’agissait d’une possibilité offerte aux rares personnes abonnées au réseau de télécommunication. Elles pouvaient signaler cette absence pour éviter que celui qui voulait les joindre attende indéfiniment au bout du fil. L’opératrice (il s’agissait souvent de femmes) reliait manuellement l’appel vers le destinataire, sauf quand le client avait signalé son indisponibilité, pour une durée plus ou moins longue. Aujourd’hui, quand on joue les abonnés absents, il suffit de laisser répondre une machine ! Dès qu’une personne ne donne plus signe de vie, elle joue les abonnés absents. Les absents ont toujours tort. On imagine la frustration de ceux qui essayent en vain de relancer la communication avec des sourds volontaires. En plus, cette personne sadique est en train de jouer ! C’est dire si cette expression part du principe que nous attendons le retour d’une personne, et qu’elle fait exprès de ne pas rentrer.




















Etre « vent debout »

Exemple: L'Europe vent debout contre les règles de confidentialité de Google

Encore un terme de marin, pêché dans l'almanach breton! On peut naviguer contre le vent (dans une certaine limite). Il faut pour cela que le bateau soit équipé d’une quille et d’une voile solidement attachée au mat. Par contre, la vitesse du voilier sera évidemment plus élevée si le vent souffle dans la direction où on veut aller. Cette technique est maîtrisée depuis longtemps par les vieux loups de mer.


Quand les hommes politiques se mettent « vent debout », ils vont contre le sens du vent (et du courant par la même occasion). Les pêcheurs de voix aux élections peuvent ainsi naviguer dans le sens contraire du vent dominant, celui de la majorité. Cette méthode permet certainement d'attraper de gros poissons dans ses filets.



Pléthore



Exemples : il y a pléthore de candidats à la présidentielle. Pléthore d’innovations dans le nouveau téléphone Samsung,...


Plaît-il ? Ce terme de médecine désignait autrefois l’excès de sang dans les artères, et qui se soignait probablement par une saignée, chère à Molière. Du grec plêthôrê, qui signifie « être plein », le mot a pris un sens figuré qui fait référence à l’abondance excessive d’une chose. Attention donc à ne pas en abuser.


Ce mot plaît à tort aux journalistes, qui l’utilisent en remplacement de « beaucoup », ou « trop ». Ce mot permet surtout de donner un côté inattendu à une phrase qui autrement semblerait évidente. L’autre avantage est bien sûr de ne pas se mouiller quand on ne connait pas le nombre exact de personnes ou d’objets dont on parle.









Payer un lourd tribut


Cette expression est synonyme de « subir un grave dommage ». On peut penser que le fait de « payer » est ici toujours utilisé au sens figuré. On paye de sa vie, ou de son temps, pas de son porte-monnaie, quoi que... Le tribut est historiquement une grosse somme d’argent (du latin tributum, l'impôt). L’origine de ce mot est attribué aux romains. En signe d’allégeance, les petites tribus soumises après une bataille devaient payer régulièrement un tribut aux armées conquérantes. Véritable handicap pour leur développement, cette « contribution » forcée rendait les vainqueurs riches et puissants. Leurs ennemis n’avaient pas les moyens de se préparer à la riposte. On peut voir à quel point cette stratégie est inutile sur le long terme, tant les peuples tributaires cherchent toujours un moyen de se venger.


Aujourd’hui, on paye un tribut à un accident, ou à un projet, ce qui ne facilite pas l’identification du coupable. La France « paye un lourd tribut à une avalanche dans l’Himalaya », mais pas aux organisateurs de l’expédition. Les salariés « payent un lourd tribut au plan de licenciement… », mais pas aux responsables de la chute du cours de bourse de leur société. C’est l’époque qui veut ça : les conséquences n’ont plus de causes facilement identifiables. Il ne suffit plus de connaître le nom d’une entreprise ou d’une banque pour diriger sa colère. C’est peut-être pour cette raison que les Anonymous portent un masque de Guy Fawkes ; ils se battent ainsi avec les mêmes armes que ceux qui sont responsables de leurs malheurs.


Haro


Exemple: Haro sur le frelon asiatique.


Au Moyen-Âge, c'était le nom d'un cri que l'on pouvait pousser pour requérir l'assistance de la population contre l'auteur d'un forfait. On utilise maintenant ce mot dès qu'on veut dresser son indignation contre quelqu'un. L'origine du mot est la même que celle du verbe 'harasser', qui signifie 'exciter les chiens' pendant la chasse. « Haro sur le baudet »! On sait que parfois les hommes peuvent se transformer en meute, assoiffée de justice, ou de sang. Le baudet, quant à lui, est un animal qui ne se défend pas, et incarne l'innocence la plus complète. Il est facile de provoquer une mésentente quand on accuse un être innocent, et qu'il faut alors vérifier sa culpabilité, tandis que le vrai coupable s'enfuit tranquillement. Entre temps, il y a fort à parier que les chiens se seront acharnés sur l'autre, le candide, blanc comme neige, et maintenant rouge sang. La justice ne se rend pas avec un cri de vengeance, et parfois il suffit d'un cri pour rendre l'injustice.


Si votre quotidien désigne le coupable avant que le jugement soit rendu, attendez un peu avant de le croire. Si un journaliste rapporte que telle personnalité crie 'haro' sur quelqu'un, sachez que son dictionnaire des synonymes n'avait rien de mieux à proposer comme alternative à 'contestation', 'exprimer son mécontentement',...


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