03/04/2011 à 14h02
Termes journalistiques - suite


J'ai écrit un article en août 2009. Il continue à être consulté aujourd'hui, alors je me suis dit que j'allais en remettre une couche. Je subodore que vous allez me railler pour cette gageüre...
Des mots surprenants, et leur origine qui l'est tout autant:









Termes journalistiques


dont les gens ne se servent pas (suite)


Article du 03 avril 2011



Il paraît que les français sont fiers de la richesse de leur langue.


Les généralités sont rarement vraies à 100%, et certains français se passeraient volontiers de certains mots compliqués. On peut cependant affirmer sans trop se tromper que la langue française est d'une grande aide pour exprimer la pensée. D'autres langues n'offrent pas les mêmes possibilités, car la langue française est composée de plusieurs centaines de milliers de mots. L'individu moyen n'utilise « que » 4000 mots environ au quotidien. Pourquoi ne pas utiliser les autres ? Les journalistes prennent parfois cette affirmation trop au sérieux, au risque de ne plus être en phase avec leurs lecteurs. Il y a souvent plusieurs mots pour exprimer la même idée, mais certains sont plus à la page que d'autres !



















Subodorer : prédire, affirmer une hypothèse.



Exemple: On subodore que le butin de Musulin serait en Serbie.


L'étymologie de ce verbe se décompose de la manière suivante : sub- (ce qui est en dessous) et –odorer (sentir une odeur).


C'est donc le fait de sentir une chose qui est en dessous d'une autre. Pas très difficile, même les chats arrivent à subodorer ce qu'il y a sous le couvercle d'une poubelle. L'odorat est-il considéré comme une capacité extra-sensorielle ? En tout cas, celui qui devine l'existence d'une chose sans la voir a forcément des talents cachés. Précisons quand même que l'on subodore ce qui est prévisible, mais qu'on prédit ce qui est improbable. Il faut forcément qu'il y ait quelques signes avant-coureurs pour subodorer. Il faut « avoir du nez » pour savoir avant les autres ce qui va se passer. Très peu utilisé de toutes façons, ce verbe commence comme « subprime » et finit comme « dorer au soleil». Les marchés boursiers nous prouvent qu'il y a peu d'écart entre ces deux extrêmes ! On part véritablement dans l'espace et dans le temps quand on prononce un tel mot.


Dans un article sur les relations internationales ou la politique, on « subodore » un conflit, une résolution de l'ONU, une réaction du peuple ou de tel ministre.


Vérifiez si l'auteur de l'article a déjà utilisé le verbe « prévoir » quelques lignes plus haut. On ne sait jamais, il a peut-être le même dictionnaire des synonymes que ses collègues.


Une gageüre : Du verbe gager, qui signifie promettre de payer une somme sur la base d'un pari.



Aujourd'hui, on dirait plutôt « une mise » à la place de ce mot dans son sens premier. Mais il a pris une autre signification dans son sens familier. Il s'agit d'une action qui semble impossible, ou du moins très difficile. Certains disent simplement qu'il s'agit d'une action illogique ou étrange.


Exemple: Quelle gageure de définir l'identité française.







Il n'y a pas si longtemps, les académiciens ont décidés qu'il fallait l'écrire avec un tréma sur le « u ». Peu de gens ont pris conscience de cet ajout du tréma datant de 1990. En fait, il s'agit d'éviter les erreurs et d'aider à la prononciation. En effet, le mot se prononce « gajure », et le « e » après le « g » sert normalement à éviter de le prononcer « gagure ». Drôle de gag... 


Comme il n'existe plus dans le langage courant, mais que de nombreux journalistes l'utilisent encore dans leurs articles, il semble que beaucoup de gens le prononcent « gajeure ». Les confusions sont courantes pour ces mots peu utilisés (« arguer » fait partie du lot).


On le trouve encore dans des articles pour les raisons suivantes:


-Les mots « difficile », « impossible » ou « compliqué » ont été trop utilisés. Il ne reste plus d'autres synonymes en stock !


-Le rédacteur de l'article utilise ce mot au second degré « Quelle gageüre que de devoir se marier !».


-On l'utilise quand on a appris le français par l'intermédiaire des livres de Balzac et des Fables de La Fontaine. Aux 17 et 18ème siècle le mot est courant: « Quelle gageure elles se sont engagées à soutenir ! » (Marquise de Sévigné). Certains professeurs de français à l'étranger l'utilisent car il figure en bonne place dans leur lexique. Les dictionnaires aident souvent à comprendre et à découvrir, mais peuvent aussi nous induire en erreur, car ils ne précisent pas si le mot est encore utilisé fréquemment. Certains dictionnaires électroniques ont la courtoisie de nous préciser cette information


 


 


 


 




Admettre du bout des lèvres : Reconnaître à contre cœur, sans enthousiasme.



Exemple : L'Europe admet l'intervention en Lybie du bout des lèvres.







Une question me brûle les lèvres, connaissez-vous cette histoire sur le bout des doigts ? Encore un conte à dormir « de bout ». Le bout des lèvres et la langue bien pendue sont deux parties de la bouche que les bavards utilisent souvent. On aurait tord de traîner dans la boue ceux qui parlent à tord et à travers. Il suffit bien souvent de leur taper sur le bout des doigts. Il arrive que nous admettions une vérité du bout des lèvres. Ce serait donc un acte délicat et raffiné ? Parlons plutôt d'une articulation des muscles faciaux exécutée avec le moins de bruit possible, au point qu'il faudrait presque lire sur les lèvres. Comment faire comprendre à son contradicteur qu'il a raison ? En lui disant franchement par exemple. Mais la sincérité est de plus en plus rare ces derniers temps. Montrer son désaccord, tout en ménageant les susceptibilités des uns et des autres, voila qui est plus sûr. A l'abri des regards, et des « oreilles qui traînent », il est plus facile d' « avaler des couleuvres ». Attention, ici on avale sans mâcher, et on ne se sert des lèvres que pour parler. On ne va quand même pas jusqu'à s'embrasser : on pourrait s'en mordre les doigts (ou les lèvres). Dans ce cas, « murmurer dans l'oreille de quelqu'un » est une possibilité. Mais cela devient difficile, peut-être à cause du « bouche à oreille », qui ébruite les « secrets d'alcôve »…


En remettre une couche : Insister sur une réflexion, reparler d'une idée inutilement.



Exemple : les députés en remettent une couche sur l'insécurité.







Tout comme les frères Ripolin, les hommes ont tendance à reformuler la même idée, encore et encore. Il ne s'agit pourtant pas de peinture dans cette affaire, d'autant que les peintures modernes sont devenues mono-couches. Cette expression fait référence à la couche de fumier que certains agriculteurs mettaient dans leur potager pour faire pousser les légumes. La couche n'est pas celle de l'enfant à naître, mais la couche de crasse ! Nos maraîchers sont donc visés directement par cette expression qui les réduit à des bouseux.


L'entêtement avec lequel on repasse une couche est souvent le signe que notre interlocuteur fait mine de ne pas comprendre. Il faut une certaine volonté pour continuer, avec insistance, à exprimer la seule chose qui importe à nos yeux. C'est également une forme d'inconscience fautive que de revenir toujours sur le même sujet. Enfin, c'est le signe d'un manque terrible d'empathie quand on ne s'aperçoit pas que la personne qui nous écoute nous a déjà compris.


La politique est devenue un jeu de langage très élaboré, où chacun essaye de remporter des points dans un match rhétorique. Lors d'un débat électoral, répéter deux fois la même chose a pour effet de transformer son adversaire en vieillard « dur de la feuille ». Si l'autre s'entête à ne pas comprendre, on peut dire qu'il en tient une sacrée couche…


Les lois votées récemment font parfois double-emploi avec des règles existantes. Vous avez deviné la raison de cet acharnement. Si un député en met une couche supplémentaire, c'est souvent pour éviter le coup de ponçage de ses successeurs ! On pourrait plutôt utiliser l'expression « revenir à la charge » pour exprimer cette insistance fautive.


 


 


 

 


 









 


Railler : Moquer (se)



Exemple : Vladimir Poutine raille la démocratie américaine.



Si vous êtes sur des rails, vous ne craignez pas les railleries. N'abusez pas des rails, ou vous risquez de dérailler (Jean-Luc Delarue en sait quelque chose). Raillez, raillez, il en restera toujours quelque chose. En somme, vous ralliez les rieurs à votre cause. Dire d'un homme sérieux qu'il raille, ou se gausse, est quand même plus respectueux que de dire qu'il plaisante. Pas question de rayer son blason (pour le faire rouiller).
Sinon vous pouvez utiliser à la place n'importe quel mot plus long, ou expression plus explicite comme « lancer une pique », « ironiser »…sinon, c'est vous qu'on raillera.

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