date: mardi 28/05/1996 (20 ans) lieu: Strasbourg
Le service militaire va disparaître
C'est ce que les journalistes ont annoncé en tout cas. Je me fait toute une histoire de cette période de ma vie que je m'apprête à traverser. L'idée de pouvoir échapper à tout ça me rassure. Ce soir, Chirac fait une intervention. Il va nous expliquer ce qu'il a décidé: "Je propose donc que le service national tel que nous le connaissons aujourd'hui soit supprimé dès le 1er janvier 1997". Ça commence bien, je me dit que c'est bon pour moi. Les jeunes pourront faire un service civil à l'âge de 18 ans, s'ils le décident. C'est le fameux 'rendez-vous citoyen', qui sera remplacé par l'appel de 'préparation à la Défense' et enfin par la 'Journée défense et citoyenneté'. Mais revenons au discours! Chirac continue, et quelques phrases plus tard: "Le nouveau système s'appliquera à partir du 1er janvier 1997 à tous les jeunes gens nés après le 1er janvier 1979." Aïe, j'ai parlé trop vite. On dirait bien que je vais être obligé de le faire ce service militaire. Je prend un coup au moral...Je me suis renseigné, ça dure 10 mois, mais ils attendent qu'on ne soit plus étudiant pour venir nous chercher. Pas de temps à perdre, j'ai un sursis de 2 ans. Je peux essayer de passer un BAC+2 ? En tout cas, il me faut un diplôme avant de servir sous les drapeaux. C'est évident que je n'aurais plus le courage d'étudier après cette épreuve. (écrit le: 2012-05-05) catégorie: service militaire - année: 1996
date: jeudi 08/01/1998 (22 ans) lieu: Mulhouse
Je savais que je n'y couperais pas. Ma lettre de convocation arrive, et je dois me rendre à Mulhouse en plein mois de janvier. Les fameux "trois jours", se sont résumées à quelques heures. J'arrive par le train de bonne heure, et je me trompe de bus en arrivant à Mulhouse. Je me perds, il y avait bien 30 cm de neige sur le trottoir. Je finis par arriver frigorifié et avec 3 heures de retard au rendez-vous. Il n'ont pas l'air de s'en inquiéter, et puis nous sommes nombreux. Les tests se déroulent au pas de charge: audition, vision, analyse d'urine, coordination des mouvements. Un petit jeu vidéo dans lequel il fallait déplacer une fusée dans un labyrinthe, pour savoir si je pouvais être pilote de char. Finalement, je rencontre un conseiller d'orientation. Je lui dit que j'irai là où on me dira d'aller: ce sera l'armée de Terre. "Merci, au revoir". (écrit le: 2011-07-16) catégorie: service militaire - année: 1998
date: jeudi 30/07/1998 (22 ans) lieu: Saint-Leu-la-forêt
Plus que quelques jours avant de devoir partir faire mon service militaire. De passage en région parisienne pour dire au revoir à ma mère, je suis stressé. J'ai surtout mal aux dents. Plus précisément, j'ai une dent de sagesse qui pousse. Ma gencive est infectée, à droite, au fond de la bouche. Ma mère prend un rendez-vous avec la remplaçante de la dentiste, partie en vacances tout le mois de juillet. Cette jeune femme regarde le fond de ma bouche écarlate. Elle me demande si j'ai pris un anti-inflammatoire. Je lui réponds que non, j'ai pris un comprimé d'ibuprofène. Elle me répond que c'est un anti-inflammatoire ! Après quelques hésitations, elle remarque ma molaire du haut qui semble un peu saillante et décide de la limer pour éviter que ma gencive du bas saigne. Je rentre à la maison mais j'ai toujours mal, cette dentiste a du louper quelque chose. Je sens avec ma langue comme un morceau de dent qui bouge en bas. Je m'enferme dans la salle de bain. Avec mon index, j'essaye de l'enlever en poussant avec mon ongle, mais ça résiste. J'ai du sang plein la bouche et sous mes ongles. Le morceau finit par venir, mais ça ne provient pas d'une dent. C'est de l'os, un petit tétraèdre de 3mm environ, responsable de ma grande douleur depuis quelques semaines. En poussant, la dent de sagesse l'avait détaché de ma mâchoire. Cette fois, le problème est réglé, je peux partir à l'armée l'esprit tranquille. Sans que cela ait le moindre rapport, ma mère m'offre un couteau suisse, en m'expliquant que ça va me servir dans les prochains mois. Je dois dire qu'elle avait complètement raison. (écrit le: 2014-09-14) catégorie: service militaire - année: 1998
date: mardi 04/08/1998 (22 ans) lieu: Colmar
Incorporation 152ème régiment d'infanterie: les « diables rouges ». Arrivée Caserne Rapp, un endroit sinistre, à 10 minutes en camion de la caserne Walter. Pour les repas, le paquetage et les démarches administratives, il faut prendre ces satanés camions de transport de troupe. Le coiffeur coupe mes cheveux à 1 cm du crâne, je me regarde dans la glace et ne peux m'empêcher de sourire. Nous apprenons rapidement les contraintes: promiscuité, levé à 5h30, TIG (travaux d'intérêts généraux), rangement de l'armoire et lit au carré. Il faut saluer les gradés constamment: on se tient droit et on porte la main au béret, sauf à l'intérieur d'un bâtiment, où il faut lever le menton et taper sur sa cuisse droite pour faire du bruit. Extinction des feux à 22 h. Chaque jour, nous apprenons de nouveaux mots. La cantine s'appelle l' « ordinaire », le postier un « vaguemestre ». On nous prend en photo le 9 aout. Le plus dur reste l'"ordre serré". Il faut marcher au pas cadencé pendant des heures, et apprendre à suivre les ordres à la seconde près. Le caporal dit "ça roule", sauf que ce n'est pas un compliment. Ça signifie que tout le monde ne pose pas le pied par terre en même temps. Je sens que ces 10 mois vont être longs. (écrit le: 2011-08-04) catégorie: service militaire - année: 1998
date: lundi 10/08/1998 (22 ans) lieu: Colmar
Suite à notre incorporation, il faut décider de notre affectation: dans quelle compagnie allons-nous être orienté ? Nous partons à la Caserne Walter, où nous rencontrons un par un l'officier orienteur au BGRH (bureau de gestion des ressources humaines). C'est mon tour, je m'assoie sur la chaise et j'enfonce malencontreusement mes grands genoux dans son bureau en acier. "Ce n'est pas grave". Le lieutenant Poidevin est l'un des premiers militaires sympathiques que je rencontre. Il veut savoir d'où je viens, ce que je fais dans la vie. Je lui parle de mes compétences, de ma mère qui travaille à Cergy. Il a besoin de deux développeurs pour créer des applications et d'un secrétaire pour son bureau. Il me demande quel logiciel tourne sur son ordinateur « Excel ? » raté, c'était « Access ». Bon, secrétaire après tout ça ne serait pas mal. La semaine suivante, je passe faire un test bureautique avec d'autres soldats appelés. Il faut reproduire une lettre dans Word à l'identique d'après un modèle sur papier et dans un temps limité. L'autre candidat avec lequel je passe les tests essaye vainement d'enlever les « vagues » rouges sous les mots qui apparaissent à l'écran. « Tu sais comment faire ? », c'est juste des fautes d'orthographe. Je lui dit, mais il n'a pas l'air de connaître les subtilités de Word 97...Bon, on dirait que j'ai le poste. (écrit le: 2011-08-27) catégorie: service militaire - année: 1998
date: lundi 14/09/1998 (22 ans) lieu: Colmar
Je travaille au bureau de gestion des ressources humaines. Je suis secrétaire, derrière un bureau. Photocopier, faire le café, rédiger des courriers. C'est dans mes cordes ! Je partage mes tâches avec Emmanuelle, une jeune fille assez paumée qui s'est engagée volontairement dans l'armée. D'ailleurs, la quasi totalité des femmes de la caserne travaillent dans mon service. Il y a peu de tâches à accomplir, mais elles sont répétitives. Les journées sont longues. Chaque matin, nous découvrons de nouvelles notes de service pour telle opération à l'étranger, ou des courriers insignifiants qui doivent être archivés soigneusement. Dans le couloir d'en face travaille Thierry, qui est le clown de l'équipe. Arrivé quelques mois avant nous, cet appelé originaire de Picardie multiplie les facéties, et frôle le manque de respect à chaque fois qu'il est en présence d'un gradé. Le service est dirigé par le lieutenant Poidevin. C'est lui qui m'a reçu pendant les classes. Visiblement abimé par un cancer des poumons, il dirige le bureau d'une main de fer dans un gant de velours. Son grade assez bas en comparaison du travail qu'il effectue me surprend un peu. En effet, il gère tous les effectifs pour les différentes compagnies du régiment. Sébastien et François sont arrivés avec moi. Leur parcours dans l'informatique leur permet quelques libertés, car ils sont chargés de créer des programmes, et personne d'autre qu'eux ne sait faire ce genre de chose. Ils ont donc droit à un bureau où ils sont seuls. Du point de vue pratique, notre tenue veste et pantalon de treillis est vraiment incongrue par rapport à notre environnement. Notre uniforme et nos rangers sont totalement inadaptés à nos journées de travail, mais il faut suivre les règles. Ce ceinturon ma serre à la taille et mes reins me font souffrir. (écrit le: 2011-09-19) catégorie: service militaire - année: 1998
date: lundi 05/10/1998 (22 ans) lieu: Colmar
Efficace. Il faut faire vite, quitte à oublier un peu le sens des mots. Les militaires nous mettent vite au parfum, mais en tant qu'appelés du contingent, on s'y perd un peu. Du coup, on commence à faire une overdose de mots comprimés. RAS: rien à signaler. MEP: montée en puissance. TIG: travaux d'intérêt général. VBL: véhicule blindé léger. VAB: véhicule amphibie. les acronymes à trois lettres nous envahissent la tête. VSL: volontaire service long (il faut être un peu dingue pour être volontaire à ça!). Le LTC est le CDC (lisez lieutenant-colonel, et chef de corps). Tous les grades sont abrégés (1CL, CPL, CCH, SGT, SGC, ADJ, ADC, MJR, ASP, LTN, CPT, CDT, LTC, COL, GEN, GBD, GDI), on oublie pas ceux qui sont TAB (ça signifie qu'ils sont au tableau d'avancement pour passer au grade supérieur). Evidemment, on finit par tout mélanger. Le CPL fait son TIG à la CCL (Compagnie de commandement et de logistique, qui se nomme aussi compagnie des chaises longues !). Hé oui, même les compagnies portent des noms abrégés: CEA (compagnie d'éclairage et d'appui), etc... D'un autre côté, il faut avouer que c'est très pratique, car les rapports sont très courts à écrire et dépassent rarement une page. C'est aussi un moyen de classer très facilement dans des cases tous les courriers que l'on reçoit dont l'objet, la référence et les expéditeurs sont codifiés à l'extrême, ne laissant aucune place à l'ambiguïté. C'est d'autant plus drôle quand le contenu de la lettre est écrit dans un français approximatif ou quand les phrases prennent des tournures qui laissent parfois dubitatif... (écrit le: 2012-03-05) catégorie: service militaire - année: 1998
date: samedi 08/05/1999 (23 ans) lieu: Siegolsheim
Les cérémonies du 8 Mai 1945, nous sommes chargés de participer à des démonstrations d'ordre serré au Ladhof à Colmar, puis à Siegolsheim. Nous sommes en treillis camouflé tout neufs. Il pleut, mais il faut faire bonne figure. Nous tapons sur les crosses de nos fusils quand le sous-officier dit « Portez...Armes ! ». Nos mains claquent sur nos FAMAS après que l'adjudant crie « Présentez...Armes ! ». Les anciens combattants ont l'air d'apprécier notre prestation. Je me demande ce que je fais là, encore une fois. (écrit le: 2011-08-04) catégorie: service militaire - année: 1999
les propos tenus n'engagent que son auteur, les souvenirs relatés dans ces anecdotes sont subjectifs | Contactez-moi