Effets pervers des lois

 

 

 

 

 

(Pour être tout à fait honnête : cette photo date de la mise en place des tourniquets du RER, le système n’était pas encore fonctionnel, ce qui explique le fait que Chirac enjambe le dispositif…hé oui, il faut aussi se méfier des images).

Article du 15 juin 2011

On constate que plus une loi est répressive, plus il y a de moyens de la contourner.

Tout est une question d’équilibre, légiférer sur tous les aspects de notre vie quotidienne n’est pas vraiment utile. A quel point faut-il songer aux failles que pourraient exploiter les individus avant de promulguer une loi ?

Ces « failles » sont toutes les conséquences inattendues que vont provoquer des règles mal conçues, et sont intimement liées au comportement humain. La fraude fait partie de ces effets pervers, mais nous verrons qu’il y a d’autres sources de résultats indésirables.

Alors que le projet de loi appelé « prime de 1000 euros » est présenté par le gouvernement devant les députés, il est impossible de dire si son objectif va être atteint, c’est-à-dire augmenter le pouvoir d’achat des français. La prime serait obligatoire pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés qui augmentent leurs dividendes par rapport aux deux années précédentes. Il semblait étonnant aux yeux de Nicolas Sarkozy que les salaires n’augmentent pas dans les entreprises qui rémunèrent leurs actionnaires. La prime d’un montant maximum de 1000 euros serait négociée entre les partenaires sociaux et serait exonérée de la plupart des prélèvements, mais est-elle vraiment utile ? Qu’est-ce qui empêche les chefs d’entreprise de verser cette prime, mais de ne pas augmenter les salaires l’année suivante. L’amende à payer en cas d’absence d’accord sera de quelques milliers d’euros… Quoi qu’il arrive, l’effet de cette loi pourrait être très limité sur le pouvoir d’achat. On peut faire le même constat avec la loi TEPA pour le volet consacré aux heures supplémentaires…

« Trop d’impôts, pas de pot… »

Tout comme les médicaments, les lois peuvent provoquer un certain nombre d’effets secondaires. En matière de taxes, les députés prévoient à l’avance ce que leurs administrés vont être autorisés à faire, dans le cas des niches fiscales par exemple. D’autres fois, des conséquences arrivent à cause de la déconnexion des élus et de leurs administrés. Il s’agit souvent d’une astuce découverte par les usagers pour contourner un système: cela arrive souvent lorsqu’une organisation s’est déshumanisée. Dans certains pays où la corruption est la norme, il est inutile d’écrire de nouvelles règles : il faudrait déjà faire appliquer celles qui existent. N’oublions pas aussi que les hommes politiques ont besoin de se faire réélire, et que privilégier les intérêts immédiats peut provoquer des effets secondaires catastrophiques. A contrario, des lois en apparence très vertueuses peuvent provoquer des résultats inverses à ceux recherchés (exemple : la prohibition). Enfin, des superpositions de règles contradictoires anciennes et nouvelles sont parfois à la source d’incompréhension.

 

moscou

La ville de Moscou a très vite été en déficit de logements au cours de son développement. A partir des lois de densification forcées des débuts du bolchévisme, les moscovites étaient forcés à se regrouper dans des logements où il n’y avait pas suffisamment d’habitants par pièce. Bien entendu, certains ne l’entendaient pas de cette oreille. Les plus privilégiés déclaraient leurs employés ou leur famille éloignée comme habitant chez eux pour continuer à vivre dans un espace à peu près suffisant. Certaines personnes liées au pouvoir (Nomenklatura) étaient exonérées de ces contraintes. La situation de crise du logement a donc perdurée, même si les personnes qui vivaient dans un espace confortable étaient différentes de la période qui précède la Révolution d’Octobre.

colombages

Des règles fiscales en matière de logement influencent les villes, d’autres ont un effet sur la forme des habitations. Pour faciliter le travail des percepteurs, certaines règles étaient simplifiées à l’extrême, et basées sur des signes extérieurs de richesse. Vers le 16ème siècle, on fixait une taxe en fonction de la surface au sol que prenait le bâtiment. Certains bâtiments on alors prit une place plus importante à partir du deuxième étage, en se développant vers la rue (bow-window, maisons à colombage…). Dans les rues les plus étroites des centres-villes, les passants se retrouvent alors pratiquement dans l’obscurité !

Tax Americana

A la fin du 17ème, les britanniques ont fixé une taxe sur certains bâtiments de leurs colonies. L’impôt augmentait pour les maisons avec plus d’un étage ; résultat, les américains construisaient des maisons avec un toit qui descendait jusqu’au niveau du premier étage, et les sous-sols étaient de véritables rez-de-chaussée. Pas très pratique pour profiter de la lumière du soleil. D’autres règles qui fixaient les taxes en fonction de la taille des fenêtres ont fait presque disparaître celles-ci des maisons « pauvres », avec les conséquences néfastes sur la santé des personnes qui vivaient dans ces lieux sombres et peu ventilés. Des taxes sur le nombre des fenêtres a fait apparaître des maisons avec une ou deux « énormes » fenêtres…! Il y existait également une taxe sur les cheminées. Pour éviter de payer cet impôt, les habitants dissimulaient leur cheminée derrière des panneaux en bois ou des tissus. Cependant, le nombre d’incendie a grimpé en flèche chez ceux qui essayaient de cacher leur cheminée ! L’impôt a donc vite disparu, suite à un gigantesque incendie provoqué par un boulanger fraudeur.

maison boite a sel

 

 

 

 

 

Aux Pays-Bas, une loi sur la taille des façades a modelé les maisons, celles-ci devenaient étroites mais trèèès longues, avec des escaliers trèèès raides. Il devenait impossible de faire monter les meubles à l’étage par l’intérieur, d’où l’existence d’une potence au niveau du toit pour faire monter les charges importantes. Certains pays méditerranéens ne réclament pas l’intégralité des impôts locaux pour les maisons non terminées. Il s’agit de logements dont les travaux n’ont atteint qu’un certain stade : avant la pose du toit, ou avant les finitions (crépis, joints,…). En conséquence, beaucoup de maisons ne sont jamais terminées, afin d’échapper au fisc. L’image que renvoient ces paysages remplis de maisons en ruine n’est quand même pas très joyeuse, sans compter les conséquences pour les habitants. S’il ne pleut pas souvent autour de la Méditerranée, avoir un toit est quand même bien utile !

Les lois islamiques appliquées en Iran ont été très largement contournées par la population. L’exemple du blocage de certains sites internet est intéressant, car force est de constater que les iraniens arrivent à s’exprimer quand même ! Interdire un film, un livre, ce n’est pas la même chose que de bloquer un outil sensé accélérer le développement économique d’un pays. Il restait une seule solution pour Ahmadinejad : ralentir le flux de données informatiques. Finalement, c’est un aveu d’impuissance : les « Gardiens de la Révolution » n’ont pas réussi à faire taire des millions de blogueurs. Ils arrivent cependant à ralentir l’envoi de vidéos -gourmandes en bande passante- vers l’étranger.

En Australie, dans l’état de Victoria, une loi a obligé les cyclistes à porter un casque. Ceci a eu pour conséquence une diminution des accidents pour les jeunes cyclistes, car…ils ont arrêté de faire du vélo. Les jeunes trouvaient ce casque tellement moche que personne ne voulait le mettre. Résultat : les maladies liées à l’obésité ont grimpé en flèche ! casque vtt
seniors

Et les lois françaises ?

Contribution Delalande: Créée en 1987, cette loi visait à empêcher le licenciement des salariés âgés de plus de 50 ans. Les employeurs hésitaient donc à engager des individus ayant dépassé cet âge. Certaines entreprises se sont séparées de leurs employés atteignant bientôt l’âge de 50 ans. Constatant son inefficacité, les députés ont supprimé cette taxe en 2008. La situation de l’emploi des séniors en France est particulière : les entreprises semblent estimer que ces candidats sont peu flexibles et dépassés. Dans le même temps, certains employeurs ne veulent pas de jeunes diplômés inexpérimentés. En situation de crise de l’emploi, les entreprises ont donc choisi des candidats entre deux-âges. Les mesures en faveur des jeunes ou des séniors, ou interdisant leur licenciement entraînent donc des effets pervers sur le taux d’emploi des deux catégories précitées. Le décret qui consiste à obliger les entreprises à engager des salariés âgés, et à ne pas les licencier avant leur départ en retraite n’existe pas encore !

Règles d’urbanisme : La loi SRU (solidarité et au renouvellement urbains) était censée apporter une justice et un équilibre social dans les grandes villes en obligeant les maires à prévoir au moins 20% de logements sociaux. Le but était de favoriser le relogement dans un habitat décent selon les principes de la loi DALO. Le principe est louable, et tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’une règle de bon sens. Si certaines communes se sont conformé à cette loi, d’autres ont préféré payer une amende pour éviter de construire ce type de logement. Or, ce sont les communes qui sont les plus riches qui vont préférer payer cette amende (si elles les payent un jour). C’est la menace du départ des habitants les plus riches et des entreprises les plus lucratives qui poussent certains maires à « oublier » cette loi. La mixité sociale n’est donc pas encouragée. L’autre effet concerne les promoteurs immobiliers. Ils ne peuvent pas construire dans des zones déjà restreintes. Ceux-ci sont donc obligés, par endroit, d’acheter au prix fort des terrains où se tiennent des pavillons, et à les détruire à leurs frais. Ils doivent donc ensuite vendre très cher les appartements. Les logements ne sont donc pas accessibles aux personnes ayant des revenus modestes. Les appartements, souvent de petite taille, ne sont pas assez grands pour accueillir des familles avec enfants. Ce type de famille va donc sortir de l’agglomération, ce qui oblige le tissu urbain à s’agrandir dans des zones extérieures à la ville. Les déplacements augmentent, et avec eux, la pollution.

Lois Robien, Scellier et Borloo : La conséquence négative de ces dispositifs fiscaux d’aide aux propriétaires a entraîné des aberrations. Des logements ont été construits dans des emplacements où ils ne sont pas nécessaires. Les appartements restent vides et ils ne rapportent rien à leurs propriétaires. Ils n’ont même pas le droit d’y vivre car obligés de louer pendant un certain nombre d’années. Seul léger bémol positif, la possibilité de louer à un ascendant ou un descendant.

hlm

fraude

« Impo,impo,impossible » dit Johnny Halliday http://www.youtube.com/watch?v=Kngqra9xRIU

« Impôt, ça va…pas trop. Bonjour les dégâts »

L’impôt sur la fortune : Il est calculé sur la base déclarative de la valeur des biens au 1er janvier de l’année de déclaration, hors objets d’art (entre autres). Il en résulte que des biens immobiliers qui prennent de la valeur, sans que la personne qui y vit n’ait fait les moindres travaux, peuvent entraîner un classement en ISF. L’administration fiscale utilise la méthode de comparaison ; elle consiste à comparer la valeur d’un bien immobilier vendu récemment avec le vôtre. Une personne qui possède une maison sur l’île de Ré se verra contrainte de payer l’ISF car son bien vaut 20 à 100 fois plus cher que ce qu’elle l’a acheté. Comme son revenu n’a pas suivi le même rythme de croissance, le déménagement est obligatoire. De l’autre côté, de riches collectionneurs ne vont pas être concernés car les biens qu’ils possèdent sont des œuvres d’art. La récente réforme de cet impôt polémique consiste à relever le seuil d’application de 800 000 à 1 300 000 euros. Le principe reste le même, et une hausse du prix des biens immobiliers gommera les effets de cette réforme tôt ou tard. Notons qu’au départ, le projet consistait à supprimer purement et simplement cet impôt qui rapporte plus de 3 Md d’euros à l’Etat en 2010. La réforme va faire baisser ce chiffre, dit-on, à 2Md d’euros environ. On accuse cet impôt de détourner de leur pays les français qui ont réussi financièrement. La question est de savoir si ces français reviendraient dans leur pays d’origine si l’ISF disparaissait… http://www.liberation.fr/economie/01012336764-l-isf-ne-cree-pas-d-evasion-fiscale-selon-un-rapport. Cette forme de taxation peut sembler nuisible à l’investissement, ou purement idéologique, mais elle évite une forme d’injustice patrimoniale. Une réforme globale du système fiscal pourrait éviter les effets indésirables de cette loi créée en 1982.

Dernier exemple, celui de la prime à la casse : L’état subventionne l’achat d’un véhicule neuf et le concessionnaire reprend votre véhicule à un tarif conventionnel. Ce type de « coup de pouce » est un cercle vertueux, car les voitures neuves sont moins polluantes, et que l’économie redémarre. Malheureusement, à la fin du dispositif, les voitures d’occasion se raréfient, car il devient moins intéressant d’acheter une voiture neuve. Cette situation entraîne une hausse du coût d’achat de ces véhicules pour les ménages modestes.

Enfin, voici un article sur les difficultés que provoquent les lois sur les différences de coût de la main d’œuvre en Europe et dans le reste du Monde.

 

 

L'analyse de Merton, sur les conséquences inattendues:

Robert K. Merton listed five possible causes of unanticipated consequences:

  1. Ignorance (It is impossible to anticipate everything, thereby leading to incomplete analysis)

  2. Error (Incorrect analysis of the problem or following habits that worked in the past but may not apply to the current situation)

  3. Immediate interest, which may override long-term interests

  4. Basic values may require or prohibit certain actions even if the long-term result might be unfavorable (these long-term consequences may eventually cause changes in basic values)

  5. Self-defeating prophecy (Fear of some consequence drives people to find solutions before the problem occurs, thus the non-occurrence of the problem is unanticipated.)

De manière plus légère, il faut aussi se rappeler que des règles mal conçues dans le sport professionnel, et notamment le football, ne sont pas sans conséquences. Même si les « Lois du Jeu » ont peu évoluées au cours des 50 dernières années, on peut se souvenir de quelques perles qui datent du 19ème siècle. Le nombre de joueurs était de 13 à 16 par équipe, la taille du terrain changeait d’une région à l’autre. La règle du fair-play stipulait que les joueurs qui commettaient une faute le signalaient eux-mêmes. On imagine la pagaille que devait provoquer cette absence d’arbitre. Une des règles les plus anciennes de ce sport consiste à ne pas toucher la balle avec les bras, a fortiori avec la main. C’est au cours d’un match en particulier que cette règle n’a pas été respectée : http://www.youtube.com/watch?v=HE7r_BTeIsQ L’absence de contrôle vidéo pour l’arbitre ne facilite pas son travail. On constate que certaines équipes continuent à jouer au jeu du chat et de la souris avec l’homme en noir (en fait, seul son short est noir). arbitre

Faites trois vœux…Qui n’a pas rêvé un jour de frotter cette lampe dont sortirait un génie ? Après avoir bien réfléchi, vous dites avec un sourire béat: 1.« Etre riche », 2.« Etre heureux », 3.« Faire disparaître la faim dans le monde ». Sur le papier, ces trois vœux on l’avantage de contenter tout le monde, y compris nous-mêmes. Dans les faits, il en va tout autrement.

genie

1. Le fait d’être riche va changer vos habitudes et risque de vous attirer des ennuis.

2. Le fait d’être heureux n’est pas forcément compatible avec le bonheur des autres (la notion est d’ailleurs assez floue).

3. Eliminer la faim dans le monde va rapidement faire grimper la population mondiale à 10 Md d’individus, notre planète pourra-t-elle encaisser une progression si rapide ?

Un conseil : rédigez votre vœu sous la forme d’un contrat avec des petites lignes pour prévoir les cas particuliers. Le législateur se trouve un peu dans le rôle d’Alladin. Il va faire un vœu, mais rajoute des conditions assorties à ce souhait. Sans ces précisions, les effets pervers ne tarderaient pas à arriver. « Je voudrais que les comptes publics retrouvent l’équilibre en 5 ans », quelles seront les conséquences sur l’emploi ? « Je voudrais que chacun paye un impôt proportionnel à son revenu», Que se passera-t-il pour ceux qui ont les revenus les plus modestes ? « Je voudrais augmenter les salaires» Comment éviter l’inflation et la fuite des capitaux vers l’étranger ?...

Le projet de « prime de 1000 euros » vient illustrer ce dernier exemple. C’est la raison pour laquelle un projet de loi semble si simple au départ, puis devient complexe à force d’ajouter des amendements. Si vous voulez éviter les effets secondaires que vos actions peuvent provoquer, ne faites rien… mais alors rien du tout ! Ceux qui ne font rien ne font pas d’erreur. Attention cependant, car des conséquences néfastes arrivent même si l’on n’agit pas. Ce n’est pas une raison pour agir dès qu’une occasion se présente. Une chose est certaine : quelle que soit la contrainte, l’homme va toujours en tirer le meilleur parti…En prendre conscience est le début du chemin vers la vérité.

désillusion


mis à jour le 16/02/2024 à 23h42