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13/09/2011 à 18h29
Ceux qui ont eu raison tout seuls

Cette expression me titille quelque peu: "On ne peut pas avoir raison tout seul". Et comme la raison du plus fort est toujours la meilleure, il est difficile de faire entendre raison à plus fort que soi.

Si vous avez raison, c'est peut-être pour une mauvaise raison. Difficile d'être seul, ou de croire qu'on l'est, à avoir raison.

Lisez mon article... vous auriez tort de ne pas le faire.

Ceux qui ont eu raison tout seuls


seul


L’Histoire ne retient pas le nom de ceux qui avaient tort tout seul.


Qu’ils soient petits ou grands, les hommes qui se trompent laissent moins de traces de leur passage car peu de gens veulent les suivre. Quand un individu détient seul la vérité, on remarque plus facilement sa singularité. Parfois, quelqu’un réussit à faire croire qu’il avait raison grâce à sa capacité de persuasion. Il y a aussi ceux qui forcent l’adhésion à leurs idées par la contrainte ou la force, sans qu’il soit question de savoir s’ils étaient dans le vrai ou pas. Il y a aussi les mystiques, qui parlent par énigme et dont les écrits sont ambigus (Nostradamus en est le parfait représentant). Ceux qui ont eu raison tout seuls sont d’un autre genre : souvent taciturnes, ils revendiquent une forme d’intégrité.



La plupart des gens qui expriment une opinion dissonante sont souvent considérés comme des illuminés, des fous ou des sots. La raison et la folie sont cousines après tout.


Si vous comprenez aussi mal que moi les fonctions mathématiques complexes (nous sommes une majorité rassurez-vous), il est probable que vous ayez déjà ressenti ce sentiment désagréable : celui d’avoir résolu un problème, alors qu’en fait…non. On finit par se persuader que notre solution est valable, même si des erreurs se sont glissées dans notre raisonnement logique. Imaginez la scène: ma solution à ce problème de géométrie se termine par « ce cercle est carré » !... Il doit y avoir une erreur quelque part, et pourtant vous étiez si fier de votre raisonnement. Vous auriez du demander l’avis de quelqu’un d’autre. C’est pourquoi il est important de confronter nos idées à celles de nos contemporains et à celles de nos prédécesseurs. On peut ainsi détecter ses erreurs et faire avancer le problème dans la bonne direction. Voici une des raisons pour lesquelles ces hommes qui trouvent seuls la solution à un problème ne courent pas les rues.


quadrature du cercle

Charles Fourier


Avoir la force de continuer dans une voie même quand personne ne vous suit, voilà un trait de caractère admirable. Encore faut-il que cette route débouche quelque part. Dans le cas contraire, il s’agit d’un entêtement coupable. Défricher les complexités du Monde fait partie de la nature même de l’homme, conquérant, avide de connaissances, ou d’autres récompenses plus concrètes. Les signes qui nous prouvent que nous allons dans la bonne direction sont parfois rares, en fonction du sujet qui nous intéresse. Si on n’aboutit à rien, certains peuvent continuer à progresser là où nous nous étions arrêtés.


Les utopistes n’ont pas toujours trouvé l’équilibre entre leurs idées et la réalité du Monde, mais ils ont commencé à tracer le chemin (http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Fourier) . S’opposer à nos contemporains n’est donc pas une finalité, si nos raisons sont les bonnes. Le bien commun est parfois à ce prix. Ceux qui sauront reconnaitre nos travaux sont à considérer autant que le cercle de gens qui nous désapprouvent. Avoir raison tout seul est donc impossible, à moins d’être le dernier homme sur Terre, ou de préciser dans quelle zone et à quelle époque on limite cette affirmation.




Théorème : Il n'existe pas de nombres entiers non nuls x, y et z tels que: xn+yn=zn dès que n est un entier strictement supérieur à 2. Non ne partez pas, c’est le théorème de Fermat, mathématicien français du 17ème siècle. Ce théorème a été démontré en 1995, après un long travail de 8 ans, par Andrew Wiles.


On pourrait croire qu’il était seul pour arriver à ce résultat mais c’est grâce aux travaux d’Yves Hellegouarch, Gerhard Frey, Jean-Pierre Serre et Kenneth Ribet que cette découverte a été possible. Un travail solitaire acharné, et quasiment dans le secret a cependant été nécessaire pour franchir les derniers écueils posés par le problème. C’est aussi grâce au soutien de son épouse et d’un collègue que cette découverte a été possible.




Qui sait comment une découverte devient possible ? Est-ce grâce à l’intuition, le souffle d’une Muse ? En tout cas, la méthode scientifique a prouvé son efficacité dans ce domaine. Expérimenter, vérifier, confirmer. Tels sont les stades du développement d’une idée nouvelle. Les sciences exactes ont fait un bond énorme en quelques siècles, ce n’est pas pour autant que les erreurs ont disparues de nos esprits humains. Chacun d’entre nous a un rôle à jouer pour faire avancer la vérité.



Wiles



Asch


Chamberlain




Quand la majorité a tort, une forme de laxisme consiste à se rallier à l’avis de la plupart des gens. Plus généralement, la force d’inertie qui permet à une erreur de rester vraie dans l’esprit des gens est une conséquence du conformisme. Phénomène de protection ou de soumission, ce reflexe nous évite de nous retrouver seuls à défendre une opinion. L’expérience de Solomon Asch illustre cette tendance. En voici le dispositif : Le sujet de l’expérience est placé à son insu au milieu de complices. Il doit dire quelle ligne est la plus longue sur une série de plusieurs affiches (cf. illustration). Cependant, les complices répondent faux à certaines questions, alors qu’il est très facile de voir quelle ligne est la plus grande. Lorsque les complices répondent faux, environ 37% des sujets répondent faux en se conformant à l’opinion de la majorité.


Cette expérience a été menée avec une information vérifiable et quantifiable, la longueur d’une ligne. Imaginez la même expérience avec des opinions philosophiques ou religieuses, où chacun peut avoir son point de vue. Si un pourcentage de gens se comporte comme dans l’expérience, il est impossible de séparer ceux qui font preuve de conformisme de ceux qui ont de véritables convictions. Quiconque a déjà participé à un vote à main levée, sais de quoi je parle. Il suffit souvent de poser la question d’une certaine manière pour remporter la mise. Vous pouvez défendre votre point de vue puis dire : « Qui est d’accord avec cette proposition ? Levez la main ! ». En parlant ainsi on peut emporter la majorité des votes, même s’il faut parfois attendre que les indécis veuillent bien se décider à lever le bras.


De peur d’être isolées, certaines personnes vont se rallier au choix le plus représenté au sein d’une communauté. C’est de ce phénomène de masse dont se servent les extrémistes. On a peur de s’exprimer à cause des représailles, et on est finalement plus aussi sûr de ses convictions. « Ceux qui détiennent la force ou le pouvoir ont une certitude ? Nous n’en avons pas, ou nous n’avons pas envie d’entrer en conflit, donc on ne les contredit pas ». Cette forme de lâcheté a trouvé sa définition en 1938, en référence à l’attitude de Chamberlain et Daladier à Munich. De peur de provoquer la guerre, certains diplomates on précipité la montée des extrêmes. Dès lors, on peut comprendre pourquoi autant de gens se sentent seuls à détenir la vérité. Quand Il est si difficile d’imposer aux autres sa vision du Monde, et qu’il est impossible de prouver ses affirmations à un contradicteur, il faut se résoudre à essayer de le convaincre. Ceux qui ont eu raison tout seuls n’ont pas toujours atteint ce but…


Socrate : « le maître a pensé… »

Socrate se vit accuser de ne pas reconnaître les dieux de la cité, d’introduire « des divinités nouvelles » et de « corrompre les jeunes gens ». Outre les trahisons de disciples, beaucoup attribuèrent les défaites militaires de la Grèce et ses conséquences à une prétendue perte des valeurs traditionnelles. Dans cette perspective, on trouva rapidement des boucs émissaires et Socrate fut assimilé à l’un d’entre eux.


Socrate refusa de lire un discours de défense qui avait été écrit à son attention par Lysias. Socrate préfère alors raconter sa vie aux jurés. Cette attitude lui vaut d’être jugé coupable avec 281 voix contre lui. Les juges devaient, non pas déterminer leur propre sentence, mais choisir parmi les propositions des deux parties du procès celle qui leur paraissait la plus raisonnable. Socrate avait donc la possibilité de proposer une peine qui pût être acceptée par les juges. Socrate se dit alors d'accord pour payer une amende d'une mine (100 drachmes), puis 30 mines lorsque Platon, Criton, Critobule et Apollodore lui firent signe immédiatement après. Il proposa ce qui lui sembla le plus juste à ses yeux comme peine : il disait qu'avec ce qu'il avait fait pour la cité, il méritait d'être hébergé et nourri pour le reste de ses jours.


Cette attitude finit par exaspérer les juges qui y voyaient peut-être de l'arrogance et Socrate fut condamné à mort avec 60 voix de plus. Socrate se vit alors condamné à boire un poison mortel, la ciguë. Ayant eu, pendant son emprisonnement, l’occasion de s’enfuir, il refusa de le faire au motif que le respect des lois de la cité était plus important que sa propre personne. Lorsque Socrate entendit Xanthippe se plaindre, en invoquant que cela était injuste, il lui répondit : «Aurais-tu préféré que ce soit justement ? Anytos et Mélétos peuvent me tuer, ils ne peuvent me nuire.» (cf. Wikipédia)


Socrate


double

à l'hypocrysie de ses juges, Socrate oppose un jusqu'au boutisme qui l'a rendu immortel.


Colomb« Voyage aux Indes »


C'est aux alentours de 1484 que Colomb forme l'idée de passer par l'Atlantique pour aller aux Indes. Il est en effet connu depuis les Grecs anciens que la Terre est ronde, et Eratosthène avait donné une estimation à peu près exacte de sa circonférence. Une grande partie de la communauté scientifique de l'époque estime réalisable un tel voyage et Jacques Heers précise : « (...) les idées de Colomb ne s'inscrivent pas à contre-courant. Tout au contraire, elles nous paraissent exactement l'expression normale de la pensée géographique de son époque. ». Ce qui distingue le projet du navigateur des hypothèses des érudits du temps – géographes et humanistes – qui estiment tous très probable l'existence d'îles nombreuses, voire de terres plus vastes plus loin à l'ouest dans la mer océane, c'est son but : atteindre les rivages de la Chine.
Un groupe d'experts rejette cependant son projet. Colomb va alors tenter sa chance en Castille au milieu de 1485. Il se rend avec son fils dans un monastère où deux moines lui suggèrent de se rendre à Cordoue auprès de la reine Isabelle. Il est reçu en janvier 1486, mais une réponse négative lui est à nouveau rendue en 1490. En 1491, sa demande est en passe d'être acceptée mais sa trop grande ambition fait échouer sa quête, il veut notamment être vice-roi de toutes les terres découvertes et obtenir un titre de noblesse. C'est grâce à l'intervention du trésorier de la maison du roi que le projet est approuvé par la reine, quand il met en balance les retombées économiques potentielles comparées à la modeste mise de fond initiale requise.

Le 3 août 1492, Colomb est au départ avec 3 navires et pas plus de 90 membres d'équipage. Une première escale a lieu aux îles Canaries. Puis, portés par les vents d'est, ils reprennent la mer direction plein ouest : Colomb conserve la latitude des îles Canaries, qu'il croit être celle du Japon. Dix jours plus tard, le 16 septembre, apercevant des masses d'herbes voguer, l'équipage croit être près de la terre ferme. Ils entrent en fait dans la mer des Sargasses, une région située à environ 1 600 kilomètres des côtes américaines. À partir du 19 septembre, les vents faiblissent fortement, immobilisant les bateaux. Une grande inquiétude finit par s'installer au sein de l'équipage. Le 25 septembre, Martín Alonso Pinzón, le capitaine de la Pinta croit voir une terre, mais cela n'est en fait qu'une illusion optique. Le vent finit par se lever à nouveau, mais les jours passent, tandis qu'aucune terre n'est en vue. Colomb pense avoir dépassé l'Inde, puis il a une idée : observant les oiseaux, il décide de changer de cap, vers l'ouest-sud-ouest. Ce changement va marquer son succès. Le 10 octobre, les marins montrent cependant de l'impatience, ayant peur que les navires ne soient perdus. De plus, les vivres et l'eau douce commencent à faire défaut.
Le 12 octobre à deux heures du matin, après une traversée quasi parfaite, un marin de la Pinta, Rodrigo de Triana, annonce que la terre est en vue, les vaisseaux restent à deux heures des côtes, attendant le lever du jour, pour pouvoir accoster. Si Colomb est sans conteste le premier Européen connu pour avoir accosté sur des terres rattachées aujourd'hui à l'Amérique, il n'eut aucune idée de l'étendue du continent américain qui s'interposait entre les îles qu'il avait découvertes et les Indes qu'il s'était proposé de rallier. Amerigo Vespucci est le premier navigateur à affirmer avoir découvert un nouveau monde qui n'est pas les Indes.
voyage


Galilée

Et pourtant elle tourne »

Bien sûr, on pense à Galilée, l’homme qui a démontré, entre autres, que la Terre tourne autour du Soleil. On a peut-être tort de résumer ainsi son histoire, car les partisans de cette théorie étaient nombreux à son époque. Une étude persévérante des mouvements célestes et des moyens optiques qui permettent de les observer lui a permis de perfectionner les arguments contre le géocentrisme. Plutôt que de prendre pour sûres les conceptions anciennes, il les a confrontés aux acquis de l’expérience. Ce sont les théories de Copernic qu’il avait fait siennes. Comme souvent dans les régimes autoritaires, il était difficile d’exprimer publiquement sa pensée. Impossible d’admettre que la Terre n’était pas au centre du Monde pour Rome. Finalement, les cardinaux lui firent abjurer ses théories. Nicolas Copernic avait bien moins d’appui à son époque, mais il en avait quelques uns. Il n’avait donc pas raison tout seul, et n’a pas été condamné de son vivant comme Galilée.





« Un vieux savant barbu »
La théorie de Charles Darwin a été souvent caricaturée, car elle ne peut être résumée par l’affirmation « l’homme descend du singe ». L’un des plus grands découvreurs de l’histoire des sciences en général, et de la biologie en particulier était un homme complexe.

Dans son livre « De l'origine des espèces », il expose une théorie selon laquelle, étant donné que tous les individus d'une espèce diffèrent au moins légèrement, et que seule une partie de ces individus réussit à se reproduire, seuls les descendants des individus les mieux adaptés à leur environnement participeront à la génération suivante. Ainsi, comme les individus sélectionnés transmettent leurs caractères à leur descendance, les espèces évoluent et s'adaptent en permanence à leur environnement. Il baptise du nom de « sélection naturelle » cette sélection des individus. Il précisera cependant que cette théorie ne s’applique que sur les animaux. Darwin évoque également une lutte pour l'existence, principe qui permet d'expliquer pourquoi les variations d'un individu ou d'une espèce tendent à la préservation de cet individu ou de cette espèce, tout en permettant la transmission héréditaire de cette variation. (cf Wikipédia)


Ses découvertes découlent essentiellement des théories de Lamarck. Cependant, c’est son travail, son expérience acquise lors de ses voyages et son intuition géniale qui lui ont permis de réfuter toutes les critiques émises à l’encontre de ses démonstrations. Une opposition nourrie se dressera contre lui, tant dans la communauté scientifique que religieuse. Il restera longtemps très croyant. Finalement, ce n’est pas son travail qui l’éloignera de l’Eglise, mais le décès d’une de ses filles, dont il ne se consolera jamais.


Darwin


Dreyfus


Zola



Emile Zola, « J’Admire…! »
Émile Zola termine la rédaction de l’article « J'Accuse...! ». Le retentissement de l’article est considérable en France comme dans le monde. Zola s’expose personnellement à des poursuites judiciaires afin de relancer le débat et de ramener l’affaire Dreyfus au sein d’une enceinte judiciaire civile. La réaction du gouvernement ne se fait pas attendre, en assignant Émile Zola pour diffamation.

Le procès s’ouvre dans une ambiance de grande violence. Fernand Labori, l’avocat de Zola, fait citer environ deux cents témoins. De nombreux observateurs prennent conscience de la collusion entre le monde politique et les militaires. À l'évidence, la Cour a reçu des instructions pour que l'erreur judiciaire ne soit pas évoquée. Zola est condamné à un an de prison et à 3000 francs d'amende, la peine maximale. Une demande de pourvoi en cassation reçoit une réponse favorable. Labori conseille à Zola de quitter la France pour l'Angleterre avant la fin du procès. Les accusés sont de nouveau condamnés. On fait donc partir Zola immédiatement au soir du verdict, avant que celui-ci ne lui soit officiellement signifié et ne devienne exécutoire. Zola vit reclus à Londres, dans le secret, dans une solitude entrecoupée des visites de ses amis et sa famille proche.


Les conséquences de l'engagement de Zola ont été à la fois positives et négatives pour l'écrivain. Il apparaît évident que « J'Accuse...! » a totalement relancé l'Affaire, et lui a donné une dimension sociale et politique qu'elle n'avait pas jusqu'alors. Zola sort donc de ses démêlés judiciaires avec une stature du justicier pour toute une frange de la population, de défenseur des valeurs de tolérance, justice et vérité. Sur le plan financier, la justice fait saisir ses biens et les revend aux enchères. Alors que le dreyfusisme s'exposait sous un jour immatériel pour les nationalistes anti-dreyfusards, ceux-ci trouvent en Zola leur tête de turc. Jamais Zola n'a regretté son engagement. Il a écrit dans ses notes : « Ma lettre ouverte « J'Accuse...! » est sortie comme un cri. Tout a été calculé par moi, je m'étais fait donner le texte de la loi, je savais ce que je risquais ». (cf. Wikipédia)




Impossible de terminer sans citer le spécialiste des bons mots.

« En résumé, je crois qu'on a toujours tort d'essayer
d'avoir raison devant des gens qui ont toutes
les bonnes raisons de croire qu'ils n'ont pas tort ! »


Raymond DEVOS

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Article N°59
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